Les gros poissons du ski alpin n'ont pas de problème pour vendre leur image et signer des contrats juteux au passage. Pour d'autres, c'est la jungle. L'exemple de Tanguy Nef est une illustration des difficultés pour un skieur (même helvétique) de trouver un partenaire pour la saison, même si le ski représente le sport national et par conséquent une grande vitrine médiatique. Stefan Rogentin aussi, qui a trouvé un sponsor juste avant les courses de Beaver Creek, n'a pas eu la vie facile pour trouver un parraineur.
Les stars du ski féminin ont également des soucis. La meilleure skieuse autrichienne, Katharina Liensberger, par exemple, skiait sans marque lors du géant d'ouverture de Sölden. Paula Moltzan porte un casque vierge du moindre annonceur.
Or, cette difficile course au sponsoring a toujours été monnaie courante.
En Suisse, l'épisode de Lara Gut-Behrami, qui a mis fin à son partenariat avec une célèbre marque de chocolat, a révélé cette difficile course au partenaire individuel.
Pour en parler, Ralph Krieger, fondateur de l'agence GPS Performance, plus de 30 ans de métier, cadre d'emblée: «Ça a toujours été difficile de trouver des partenaires. Ceux qui disent que c’était facile auparavant, c’est faux».
L'agent qui gère les intérêts de skieurs et skieuses comme Loïc Meillard, Mélanie Meillard, Marta Bassino, Luca Aerni, Marc Rochat ou encore Alexis Monney insiste sur le fait que personne n'en aurait parlé si «LGB» n'avait pas stoppé sa collaboration avec son sponsor.
Et d'insister:
Cet avant dernier point est détail qui a son importance dans ce marasme marketing: la concurrence s'est accentuée par le fait que les cadres nationaux ont été élargis. «En Suisse, il y a 300 athlètes qui cherchent des sponsors. Il y a 15 ans, il y en avait peut-être la moitié. Le gâteau n’est pas beaucoup plus grand qu’avant et par conséquent la concurrence s'est intensifiée», analyse-t-il.
Auparavant déjà, il n'était pas facile pour des coureurs qui jouaient le haut de tableau de trouver un partenaire. L'agent gérait les intérêts de coureurs, à l’époque, comme Pirmin Zurbriggen, Paul Accola, Vreni Schneider, ainsi que Chantal Bournissen ou encore William Besse. «On ramait comme des fous pour trouver des sponsors pour Besse ou Bournissen, malgré leurs excellents résultats. Mais nous avons toujours trouvé», renseigne Ralph Krieger.
Pour revenir au cas de la Tessinoise, la lauréate du classement général de la Coupe du monde tient le couteau par le manche à la table des négociations.
Lara Gut-Behrami est en position de force, elle n'a plus besoin des réseaux sociaux (vecteur très important pour un athlète lors de la signature d'un contrat) pour trouver un sponsor ou de baisser ses prétentions financières, selon Ralph Krieger: «Lara peut skier une année sans sponsor tête, elle n’en n’a certainement moins besoin qu’une athlète moins titrée».
La Tessinoise a les reins solides financièrement. Car globalement, qu'une marque vienne chercher un skieur ou une skieuse, c'est assez rare. «C’est plus souvent nous, agents, qui sommes actifs et allons chercher», informe Krieger, tout en rappelant que les skieurs suisses gagnent bien leur vie dans le ski.
Le fondateur de GPS Performance est catégorique:
Aujourd'hui, les athlètes des cadres profitent très souvent de différents sponsors greffés à Swiss-Ski. Ces marques sont distribuées dans quatre catégories. Dans la première, on retrouve quatre gros donateurs de la fédération (Sunrise, Helvetia, Raffeisen, BKW). Leurs investissements sont difficiles à saisir, mais on parle d'un budget estimé à 60 millions de francs, selon les dires d'Urs Lehmann en 2021.
Les gros sponsors versent de l'argent à Swiss-Ski et investissent, en plus, dans des spots de télévision, des espaces publicitaires lors des courses. Tout est à leurs frais. Ils investissent également sur des athlètes, comme le fait par exemple Sunrise avec son projet de «Rising Stars» - un programme qui finance une dizaine d'athlètes, entre l'alpin et le nordique en passant par le freestyle.
Helvetia, aussi, compte dans ses ambassadeurs des skieurs comme Daniel Yule, Luca Aerni, Michelle Gisin, Aline Danioth ou encore Semyel Bissig.
Si le premier niveau de sponsoring se chiffre en millions, le deuxième correspond à une fourchette basse d’un montant à 6 chiffres - entre 200 et 400 000 francs, selon les informations. Il y a ensuite un troisième et quatrième niveau, où il est surtout question d'échanges de prestation.
Ces sponsors ont la priorité et peuvent poser leurs conditions, rappelle Ralph Krieger, qui explique:
Pour contextualiser: si une enseigne de sport veut proposer un contrat à un athlète, une autre enseigne de sport, qui est partenaire de la fédération, a le pouvoir de dire non et de prendre l’athlète dans son équipe d'ambassadeurs.
Depuis le début de la saison, les skieurs et skieuses peuvent arborer un nouveau sponsor sur le côté du casque. Un nouveau modèle qui a changé la donne dans les contrats?
Des coureurs ont sauté sur l'occasion pour capitaliser sur cette nouvelle règle. La jeune pépite helvétique Livio Hiltbrand, par exemple, porte un casque aux couleurs de ses deux partenaires.
Justin Murisier, lui, jongle avec deux casques barrés par deux marques différentes, tout en inscrivant sur les côtés un autre partenaire. Il est le seul à procéder de la sorte.
Or, la tendance n'infuse pas du côté des superstars du ski, dont le contrat avec leur sponsor individuel était déjà négocié en amont.
Un nouvel espace, encore, après les skis, la gourde, la veste où trônent de multiples partenaires, donnant lieu devant les caméras de télévision à une chorégraphie qui peut parfois prêter à sourire.
D'autres aspects pèsent dans la balance: la polyvalence en est un. A ce jeu, une Michelle Gisin est intéressante pour un sponsor, elle qui skie chaque week-end et chaque course de la saison. Si nous prenons un skieur comme Tanguy Nef, qui ne court que les slaloms, il est plus difficile de vendre son image en participant à une seule discipline. Loïc Meillard et Marco Odermatt en courent trois et ont logiquement trois fois plus de chance d'être à l'écran lors des retransmissions.
Mais dans cette bataille de présence en direct, faut-il être un technicien ou spécialiste de vitesse? «Il vaudrait mieux être technicien, car il y a deux manches (rire.)», expose Krieger.
Or, comme il le souligne, les grosses audiences restent les descentes de Wengen et de Kitzbühel - en 2022, ils étaient 162 000 Romands devant leur téléviseur pour le Lauberhorn. En pourcentage, c'est 60% de parts de marché. Adelboden est également une excellente vitrine marketing et médiatique pour le ski alpin.
La popularité du sport en Suisse alémanique est forte. Et cette question: est-il plus simple d'avoir des origines outre-Sarine pour dégoter un partenaire?
Mais au final, performer au plus haut niveau et faire montre de régularité, voilà la manière la plus efficace d'additionner un joli pactole et de compter un sponsor (généreux) sur son casque.