Voilà trois jours que la pluie interrompt les débats à Wimbledon; et quand ce n'est pas la pluie, c'est le climat, plus précisément ses activistes surchauffés qui, par deux fois, ont répandu des puzzles de 1000 pièces sur le court No 18, après les avoir achetés à la boutique du coin.
Voilà trois jours qu'un peu tout le monde crie à l'injustice et s'envoie de la vaisselle à la figure, dans une ambiance de confinement automnal. Wimbledon a enfin repris ce jeudi, mais si les nuages se sont dissipés, certains problèmes subsistent. Exemple: Dominic Stricker affronte Frances Tiafoe cet après-midi, au lendemain de ce qui fut son premier match en cinq sets. Pis: 20 joueurs entrent en lice après trois jours d'attente, tandis que Novak Djokovic, confortablement installé sous le toit du Central, a déjà passé deux tours - et affrontera Stan Wawrinka au troisième ce vendredi.
Certes, personne ne reprochera à Wimbledon d'avoir un toit, et même deux, pour accueillir ses élites. La vénérable institution y a mis le temps et il lui en a coûté beaucoup d'argent, mais aussi d'amour-propre, pour capituler devant la modernité triomphante. Avec ces toits amovibles qui, comme des lâches, rampent sans bruit, c'est un peu le show qui, tout doucement, pénètre l'un des bastions les plus conservateurs du Royaume-Uni, le All England Lawn Tennis and Croquet Club, gardien du cloitre et de ses dogmes séculaires.
Il n'y a pas si longtemps encore, on changeait les scores à la main sur les courts annexes et on ne jouait pas le dimanche pour ne pas incommoder le voisinage. Quand de vilains nuages rôdaient au-dessus de leur tête, de vieux Anglais cramponnés à leur coupette marmonnaient solennellement: «That's Wimbledon.» La pluie était la preuve qu'ici, les temps ne changent pas. Alors un toit électrique... C'est comme si on avait posé une capote sur la Porsche Spider de James Dean.
Plus concrètement, si ces toits ont permis de combler des vides dans le programme TV, ils ont dans le même temps creusé des inégalités sociales. Par temps de pluie, une majorité de joueurs moisit aux vestiaires quand une caste de planqués est programmée à heures fixes, au sec, sous le toit du Centre Court ou du No 1. Ces nantis ont certes durement gagné leurs privilèges, mais la programmation ne fait que conforter leur supériorité.
C'est là le seul reproche que font les suiveurs à Wimbledon: avec une pluie aussi incessante, pourquoi les deux stades couverts n'ont-ils rien changé à leurs habitudes, en programmant seulement trois matchs par jour et en ne tenant pas compte du bon ordre chronologique de la compétition, tour après tour, match après match?
De nombreux joueurs racontent dans la presse les journées interminables passées au Club, «à scruter la météo et le ciel», à fuir «les attroupements et le bruit», «la nervosité de certains», à «éviter de passer sa frustration sur des jeux débiles qui font perdre de l'énergie». S'alimenter, s'échauffer, se préparer. Attendre encore et puis recommencer, jusqu'à en mourir d'ennui. Quand on cherche à tuer le temps, il finit souvent par nous échapper.
«Idéalement, il faudrait rester dans sa bulle», nous expliquait Stan Wawrinka, un jour de pluie, à l'US Open 2017. Mais il reste difficile d'installer une bulle quand 87 rencontres sont programmées le même jour, comme ce fut le cas mardi à Wimbledon: la cantine est une salle d'attente, les sofas et les tables de massage sont pris d'assaut, les enfants courent dans tous les sens. «On peut cramer tout son influx en deux ou trois jours passés aux vestiaires, ajoutait encore Stan Wawrinka. Physiquement, on est pénalisé quand il faut rattraper son retard, mais nerveusement, l'attente est peut-être plus nuisible encore.»
A Wimbledon, antre de la fraise et du Pimm's jubilatoires, même la pluie est sacrée. On la vit en costume ou en robette, parfois sans chaussette. Aucun joueur ne s'en plaint effrontément et quand il faut s'incliner devant un ordre de marche, tous obtempèrent sagement. Mais le toit, lui, est une tout autre histoire. Une vieille histoire de lutte des classes, de sélection fondée sur le prestige, le sang et le cursus. Un fait du prince que Wimbledon semble revendiquer et qui pourrait lui revenir en pleine face comme un puzzle.