«Je viens d'un avion qui est tombé dans la montagne.» Cette phrase, ancrée dans la mémoire collective des Uruguayens depuis un demi-siècle, a été rédigée par un survivant de la catastrophe. Son nom est Fernando Parrado, et lorsqu'il écrit ces mots sur un bout de papier à l'intention d'un berger venu à sa rescousse, le rugbyman vient de passer dix jours à escalader des sommets de plus de 4000m dans les Andes avec de la chair humaine dans l'estomac et des chaussures de rugby aux pieds.
Fernando Parrado est l'un des personnages de cette tragédie que beaucoup ont surnommé le «Miracle des Andes», en référence aux 16 rescapés, et que Netflix a choisi de raconter dans un film de 2h24 diffusé dès jeudi 4 janvier sour le nom du «Cercle des neiges». Un titre trompeur, dont la poésie suggère une autre histoire que celle qui s'est nouée dans les Andes en 1972. Il faut baisser les yeux et lire le résumé lapidaire du film pour en saisir les enjeux:
Une accroche terrible qui annonce le drame à venir, la faim qui menace de mort les survivants et les pousse à l'inimaginable. Pour comprendre comment ces hommes en sont arrivés à transgresser l'un des plus grands tabous de la société, il faut revenir au début de l'histoire lorsque, le 12 octobre 1972, le Fairchild FH227 décolle de Montevideo sous un soleil radieux. A son bord se trouve l'équipe uruguayenne des Old Christians, attendue au Chili pour y disputer plusieurs matchs amicaux. La délégation comprend les rugbymen amateurs, mais aussi les familles, les amis et les membres de l'équipage. 45 personnes sont enregistrées. Le voyage doit durer cinq jours.
Mais en vol, le temps se gâte. L'avion fait une escale imprévue puis repart. Il est ensuite pris dans le brouillard et des trous d'air. L'expérimenté pilote, 20 ans de métier et plus de 5000 heures de vol au compteur, cherche un passage à travers les Andes, mais une erreur de navigation précipite le bimoteur blanc contre une plateforme neigeuse. Douze personnes meurent sur le coup. Les autres sont prisonnières de la montagne à 3500m d'altitude, livrées à elle-mêmes dans une carlingue éventrée qui leur sert d'abri de fortune. Autour, tout est blanc et vide. Hostile.
C'est lorsqu'ils n'ont plus de nourriture ni d'espoir (les survivants étaient d’abord persuadés que les secours viendraient à leur rescousse), que les Uruguayens se résolvent au pire: manger les morts qui, pour certains, étaient leurs amis. «Cela a fait débat à notre retour mais entre nous, il n'y a pas eu beaucoup de discussion», confiera Fernando Parrado à L'Equipe, avant que le journaliste ne fasse cette précision:
Plus tard, un membre du campement a l'idée de se nourrir de la moelle des os pour y récupérer du calcium. Mais ça ne suffit pas. Le groupe s'affaiblit chaque jour un peu plus. Alors, après deux mois de survie, délesté de 45 kilos, Fernando Parrado décide de partir chercher du secours avec un compagnon. Juste avant de s'en aller, il consent à un ultime sacrifice: il autorise le reste du groupe à manger la chair gelée de sa mère et de sa soeur décédées dans l'accident.
Ce n'est qu'après plusieurs jours de marche qu'il rencontre le paysan qui alerte les secours et sauve ainsi ses amis restés au sommet.
Depuis 1972, beaucoup de documentaires (vidéo et audio), de livres et d'articles sont apparus sur le sujet. Le film de Netflix est le dernier d'entre eux, mais il n'est pas le moins intéressant. D'abord parce que pour la première fois, l'attention ne se porte pas uniquement sur les rescapés, mais aussi sur les 29 disparus. Ensuite parce que ce long-métrage a été validé par ceux qui ont réussi à se sauver, signe d'un réalisme bluffant.
Réalisé par Juan Antonio Bayona («L'Orphelinat», «The Impossible», «Jurassic World: Fallen Kingdom»), le film a été ovationné à la Mostra de Venise et primé au Festival international du film de Saint-Sébastien. Il a en outre récolté deux prix aux European Film Awards et plusieurs nominations (dont treize pour les Goya 2024).
Un succès qui ne doit rien au hasard. Car si cette histoire extraordinaire de gens ordinaires suscite autant d'intérêt depuis si longtemps, c'est parce qu'elle évoque des sujets universels comme la vie, la mort, et les choix auxquels nous sommes confrontés quand tout bascule et que nous n'aurions jamais voulu faire.