«Le football, il a changé», constatait Kylian Mbappé en juin dernier. Si l’on considère les aspects financiers de ce sport, c’est incontestable; le football a en effet radicalement changé au cours des dernières décennies. En 1970, les revenus générés par la première division française étaient de l’ordre de 1 million d’euros. En 2011, ils étaient estimés à 1 milliard. Cette progression témoigne d’une transformation qui a fait passer le football au rang de «sport-business». La Coupe du monde en cours au Qatar est la parfaite illustration de ce nouveau statut.
Le football semble aujourd’hui gouverné par l’argent, et les différences entre les équipes n’ont jamais semblé si importantes. Pour autant, sur le terrain, le football a-t-il subi des transformations aussi drastiques qu’en dehors? Il est commun d’entendre que les joueurs des décennies précédentes n’auraient plus leur place dans le football actuel. Mais sur quoi se base-t-on pour avancer de telles spéculations? Le football a-t-il vraiment évolué? La réalité est plus contrastée qu’on ne l’imagine généralement.
L’analyse des finales de Coupe du monde de 1966 à 2010 révèle une modification significative des demandes techniques et tactiques.
En l’espace de 44 ans, les matchs sont devenus plus exigeants techniquement, ce qui se traduit par un nombre de passes plus élevé (+35 %), et une vitesse de balle supérieure (+15 %). Le taux de réussite de ces actions est également plus important. Ces résultats peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs. Parmi ces derniers, l’amélioration de la qualité des terrains de football, qui s’est accompagnée par des avancées technologiques concernant le matériel (ballon, chaussures), rend l’exécution technique plus aisée qu’auparavant.
De cette évolution technique a découlé une évolution tactique. En effet, la vitesse de jeu a augmenté, notamment en raison de l’augmentation de la densité de joueurs sur le terrain. L’analyse des déplacements des joueurs lors des matchs a permis de montrer que les défenseurs laissaient de moins en moins d’espace à l’équipe en possession du ballon. Autrement dit, l’espace délimité par les 20 joueurs de champ est plus restreint de nos jours que durant les décennies 1960-1970.
Cela n’est pas sans conséquence sur le comportement des joueurs qui doivent, pour espérer passer le rideau défensif, acquérir davantage de rapidité dans leur prise d’information et leur exécution. Leurs déplacements, notamment, doivent être plus vifs et plus précis s’ils veulent avoir une chance de s’extraire des marquages adverses, et ainsi créer des différences.
Donc oui, une fois la balle en jeu, les actions sont devenues plus rapides. Pour autant, le rythme du match a globalement ralenti. Bien que le nombre d’arrêts de jeu n’ait pas changé entre 1966 et 2010, la durée de ceux-ci s’est allongée, menant à une baisse significative du temps de jeu effectif d’un match. Alors que le ratio entre temps d’effort et temps de récupération était de 4 pour 1 au cours des premières finales de la Coupe du monde qui ont été analysées, il est passé à 1,5 pour 1 ces dernières années.
Cette baisse du temps de jeu effectif s’explique par la volonté des joueurs d’allonger les temps de récupération afin d’être capables d’endurer les périodes de demandes élevées à haute intensité. Elle permet aussi de rétablir la structure tactique de l’équipe.
Les demandes physiques sont modelées par les demandes techniques et tactiques du jeu. L’apparition d’actions plus rapides et de temps de récupération plus long au cours d’un match s’est accompagnée d’un changement de comportement, comme le révèle l’analyse des déplacements des joueurs.
Entre les saisons 2006-2007 et 2012-2013 en Premier League (le championnat anglais), les distances parcourues à haute intensité, le nombre d’actions réalisées à haute intensité et la distance parcourue en sprint ont augmenté respectivement de 29 %, 49 % et 8 %. Dans le même temps, la distance totale parcourue n’a subi qu’une augmentation triviale de 2 %.
Cette observation se confirme encore aujourd’hui en Espagne: une étude récente menée entre les saisons 2012-2013 et 2018-2019 a révélé une légère baisse de la distance totale parcourue, pour une augmentation du nombre d’efforts à haute intensité (comprise entre 9 % et 15 % selon les postes). Il a d’ailleurs été récemment montré que les performances physiques en match étaient corrélées au succès de l’équipe.
En prenant en compte le taux d’augmentation annuel sur ces 20 dernières années, il est prédit que cette évolution se poursuivra au minimum jusqu’en 2030.
Dans ce contexte, les équipes devront appliquer de plus en plus de pression pour gagner leurs matchs, ce qui se traduira par une augmentation des séquences de pressing haut, ainsi qu’une augmentation des contre-attaques et des sprints. Les postes les moins sollicités physiquement à l’heure actuelle (défenseurs centraux et gardiens de but) se verront contraints de contribuer davantage aux phases d’attaque. Ces évolutions pourraient se traduire par une augmentation des risques de blessure et de fatigue mentale chez les joueurs professionnels.
Bien que l’évolution des demandes techniques et tactiques ait modelé les exigences physiques, il semblerait que cela n’ait pas eu d’impact majeur sur les caractéristiques anthropométriques des joueurs de football professionnels.
Les études ayant recensé ces valeurs lors de la Copa America en 1995, en Ligue 1 en 2010, et en Europe de l’Est en 2022 révèlent que le poids des joueurs semble avoir peu varié (76,4 kg en 1995 contre 77,7 kg en 2010, soit 1,7 % de différence). Il en va de même pour le pourcentage de masse adipeuse (10,4 % en 2010; 11,4 % en 2022).
Tout comme les caractéristiques anthropométriques, les qualités cardiovasculaires des joueurs ont également peu évolué par rapport aux décennies précédentes.
Les qualités cardiovasculaires sont mesurées à l’aide de la VO2 max, représentant la capacité d’un individu à capter de l’oxygène, à le transporter et à l’utiliser au niveau musculaire. Il a été suggéré qu’un seuil minimal de VO₂ max était requis pour pratiquer le football au plus haut niveau, sans pour autant que ce soit une qualité prioritaire pour la performance.
L’évaluation de la puissance maximale aérobie chez des footballeurs professionnels norvégiens entre 1989 et 2012 a permis de montrer qu’en relation avec la masse des athlètes, la VO₂ max n’avait pas évolué. Plus récemment, des résultats issus de deuxième division grecque et de première division croate ont rapporté une VO₂ max moyenne réduite en comparaison du seuil minimal suggéré pour atteindre le plus haut niveau.
Ces résultats, provenant de compétitions ne faisant pas partie du top 5 européen, confirment que la VO₂ max permet de discriminer le niveau de pratique jusqu’à un certain point. Toutefois, le football moderne ne nécessite pas d’augmentation significative des qualités cardiovasculaires en comparaison des décennies précédentes. Par ailleurs, des travaux récents suggèrent que la VO₂ max n’est que peu prédictif des distances parcourues à différentes intensités lors d’un match.
Si les caractéristiques anthropométriques et les qualités cardiovasculaires des joueurs n’ont que peu évolué durant les dernières décennies, il n’en va pas de même, en revanche, de leurs capacités neuromusculaires.
Contrairement aux qualités cardiovasculaires, les qualités neuromusculaires (de force et de vitesse) des joueurs semblent avoir évolué positivement lors de ces dernières années. En effet, entre 1995 et 2010, l’évaluation continue des joueurs professionnels norvégiens a notamment montré une augmentation de l’ordre de 1,3 % de la vitesse en sprint.
Ce constat se confirme lorsque l’on compare les résultats rapportés en 2001 chez des joueurs de première division française avec les résultats des joueurs de Premier League anglaise 10 ans plus tard. En effet, en moyenne, le pic de force développée sur les extenseurs du genou est supérieur de 11,7 % pour une diminution négligeable du pic de force des fléchisseurs du genou de 0,8 %. Cela se traduit par un temps en sprint inférieur de 5,8 % sur 10 m et de 3,4 % en faveur des joueurs évoluant dans le championnat anglais.
Bien que les qualités neuromusculaires différencient largement les niveaux de pratiques, en 2017, une étude sur des joueurs de quatrième division danoise rapportait des temps en sprint encore inférieurs (vitesse plus élevée) à ceux présentés en 2011 en Premier League. Cela démontre à quel point cette composante physique a pris de l’importance dans le football moderne. Ces résultats concernant les qualités neuromusculaires pourraient être corrélés à l’augmentation des distances parcourues à haute intensité ces dernières saisons.
Si les distances parcourues à haute intensité ont largement augmenté au cours des dernières années, cela ne signifie pas que le jeu actuel impose aux joueurs des contraintes physiologiques supérieures à celles auxquelles étaient soumis les footballeurs professionnels du passé. En effet, les qualités neuromusculaires plus élevées des joueurs actuels leur permettent de répondre aux contraintes du jeu moderne. Ils bénéficient par ailleurs de l’accroissement du temps de récupération entre les actions, le temps de jeu effectif ayant diminué.
Tous ces résultats se vérifient également chez les footballeuses, avec une augmentation des distances parcourues à haute intensité. Entre la Coupe du monde féminine de 2015 au Canada et celle de 2019 en France, on a ainsi constaté entre 16 et 32 % d’augmentation.
L’apparition de la règle des 5 changements, contre 3 auparavant, pourrait également faire évoluer le profil des joueurs de haut niveau. Dans un tel système, on peut imaginer que certains joueurs de l’effectif possédant des capacités accrues à réaliser des efforts de haute intensité, mais dotés de qualités cardiovasculaires réduites en comparaison de leurs coéquipiers, soient utilisés pour jouer des périodes réduites de match. Les qualités neuromusculaires bien supérieures de ces joueurs pourraient ainsi être mises à profit.
Compte tenu de ces évolutions, la détection de tels talents représente aujourd’hui un enjeu majeur pour les clubs élites, qui cherchent à fournir à leur équipe professionnelle des joueurs prêts à répondre aux demandes du football moderne. Le niveau physique neuromusculaire pour atteindre le haut niveau semble désormais bien plus discriminant qu’auparavant, ne laissant pas d’autres choix aux académies que d’en faire un des critères prioritaires de leur processus de recrutement. C’est la raison pour laquelle elles recherchent des joueurs toujours plus rapides à toutes les positions, quitte à les former à des postes qui ne sont pas, a priori, les leurs.
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original