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Lucien Favre adulé à Nice, des quartiers aux palaces

Lucien Favre a retrouvé le maillot de l'OGC Nice quatre ans après l'avoir quitté pour Dortmund.
Lucien Favre a retrouvé le maillot de l'OGC Nice quatre ans après l'avoir quitté pour Dortmund.

On le trouve génial, vrai et bizarre. Les raisons d'une «Lulumania»

A Nice, son retour est accueilli dans la liesse. Lucien Favre séduit autant la jet-set que les couches populaires, le plus simplement du monde, avec un talent et un accent inimitables.
30.06.2022, 18:4701.07.2022, 06:05
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Les images montrent des scènes de quasi-hystérie, avec des fans qui crient et d'autres qui escaladent les grilles. Lucien Favre donne bien plus qu'un entraînement: il distribue des sourires et des consignes comme autant de notes d'espoir. Il revient à Nice comme jadis Elvis rentrait à Memphis, en ami et en king. Adulé du ghetto et adopté par les aristos.

C'est tout le paradoxe de «Lulu le Niçois»: peu d'entraîneurs représentent aussi bien les deux côtés extrêmes de la ville. Le côté flamboyant par un football audacieux, le jeu, le panache, le style, ambiance casino et hôtel Negresco. Le côté populaire par la générosité, l'accent, la façon d'aimer et de tancer au quart de tour, sans filtre, et de tout dramatiser.

Avec cet autre paradoxe d'être né dans le Gros-de-Vaud, d'y rester profondément enraciné, et quiconque a fréquenté le pub d'Echallens sait combien l'endroit prépare mal aux exubérances de la Côte d'Azur. Avec ce paradoxe, encore, de vouvoyer son prochain et de l'être presque toujours, jusque par les Azuréens les plus sanguins - mais ce vouvoiement n'est-il pas la politesse des kings?

L’époque est au tutoiement de bon aloi, pour donner son amitié ou pour vendre une étagère. Mais Lucien Favre, 64 ans, est issu d’un autre temps où l’on ne tutoyait guère que la marmaille, les imbéciles et les soubrettes. Il est issu d'une contrée où le «vous» marque une distance, où il tient en respect, jusqu’à ce que les barrières tombent. On peut le trouver vieille France, un rien réac', mais on peut aussi mesurer à cette distance les risques qu'un homme est prêt à prendre pour rester vrai, échapper au diktat de la coolitude universelle.

Des tonnes de louanges

C'est par un jeu de séduction, néanmoins, que Lucien Favre est resté dans le cœur des Niçois. Un jeu en mouvement et au sol, maître des demi-espaces, porté vers l'avant et protéiforme, capable d'adaptations folles en plein match. «Son retour est une excellente nouvelle pour ceux qui aiment le foot, car Lucien Favre a une vraie patte, un football intéressant et intelligent», adoube Pierre Ménès dans son blog, entre deux mots vachards sur le PSG.

L'intégrale ici

Peut-être la France n'a-t-elle jamais tressé autant de couronnes à un «nouvel» entraîneur depuis l'arrivée de Carlo Ancelotti au PSG, et encore l'Italien présentait-il l'inconvénient d'un accent compliqué - un monstre baragouinage, comme on dirait au pub d'Echallens.

«On va retrouver un coach unanimement apprécié, qui dit bonjour à tout le monde, qui vouvoie même ses joueurs. Un personnage attachant, quitte à être parfois déroutant»
Un salarié du club dans Nice-Matin

Ancien élève de Lucien Favre, Maxime Le Marchand est le plus lyrique. Il raconte à plusieurs médias «une personnalité unique en son genre», unique pour «la manière bien particulière de transmettre ses idées, à la fois très calme et très directive». Et de développer: «Il nous a beaucoup appris. Sur la position du corps, les appuis, le contrôle de balle (...). En phase défensive, on savait exactement ce qu'on devait faire. C'était un régal. Il savait aussi élever la voix et utiliser des mots durs».

«C'était Panoramix, notre druide. Il avait la recette, on buvait ses paroles»
Maxime Le Marchand dans Nice-Matin

«Il fait souvent les mêmes causeries», enchaîne le gardien Yoan Cardinale. «Il rabâche les bases. Au début, ça semble bizarre. Comme ses séances de 2h40 en stage d’avant-saison où tu répètes sans cesse les principes primaires du foot. Tu es un joueur pro, tu penses ne pas en avoir besoin. A la fin, tu les maîtrises si bien que tu te sens invincible.»

«Les entraînements sont très très longs. Il est pointilleux. Tactiquement, c'est un phénomène»
Yoan Cardinale, ancien gardien de l'OGC Nice sur RMC

Mathieu Bodmer, historiquement peu soumis à ses entraîneurs, désigne «un génie» et un stakhanoviste, capable de «s’infuser quinze heures de foot par jour». « J’ai découvert un entraîneur très pointilleux, avec qui le placement se travaille au centimètre près», explique-t-il à Ouest-France. «Il y a l’idée d’être en mouvement pour prendre l’ascendant sur notre adversaire. C’est un acharné du travail, avec une mentalité différente.»

L'amour du doute

Quand il était encore un jeune entraîneur, Lucien Favre nous expliquait les vertus anesthésiantes de l’éloge sur le cerveau humain, notamment sur le niveau d'alerte. «Il faut toujours douter.» «On peut apprendre jusqu’à sa mort.» Ce doute, chez Lucien Favre, est parfois perçu comme du défaitisme, une forme de trouille ou même d'héritage calviniste, mais il est d’abord un art de vivre, un aiguillon vers la perfection.

L'Equipe du jeudi 30 juin.
L'Equipe du jeudi 30 juin.

L’être humain a des doutes comme le chien des puces (c'est pourquoi il se gratte la tête) et le robinet des fuites, mais lui ne l'a jamais considéré comme un défaut. La doxa carriériste enseigne de ne pas perdre confiance, mais Lucien Favre est de ceux qui gagnent et qui, quand tout va bien, présentent le doute comme un mal nécessaire. «J'ai la même philosophie que Nadal. J'essaie de transmettre le plaisir d'aller à l'entraînement et d'apprendre jusqu'à notre dernier jour, avec la conviction, même la crainte, de ne jamais en savoir assez.»

C’est ce souvenir qu'il a laissé à Nice et que Maxime, un supporter d'une quarantaine d'années, traduit aujourd'hui sur son compte Twitter: «Un accueil de superstar pour une anti-star totale».

Eloge de la simplicité

Les anciens juniors B d'Echallens (VD) racontent le même entraîneur, 20 ans plus tôt: «On était des ados avec des exigences de pros. On a progressé à une vitesse incroyable. On n’a jamais pris autant de plaisir. Par exemple, on devait respecter un écart de maximum dix mètres entre les lignes. Lucien arrêtait le jeu et comptait les pas».

Un entraîneur qui explique, qui pinaille, qui prend par les épaules et fait marcher la tête. Une main qui vibrionne, un œil qui questionne. «Il posait des questions surprenantes... Il remarquait des détails que personne n'avait vus avant», rendait hommage Vincent Koziello. Ici, un international suisse qui ne savait pas courir (Johan Lonfat). Là, un grand espoir français qui n'ouvrait pas ses doigts quand il avait le contrôle du ballon, au péril de son équilibre (Dan-Axel Zagadou).

La manie de l'observation et le courage de l’obsession. Parfois, il exécute le geste lui-même et dit: «Comme ça, tout simplement». Très simplement…

Parce qu’on a beau créer des logiciels pour tracer des circuits de passes, installer des GPS pour localiser les traînards, la quête de perfection tend invariablement vers la simplicité; vers la fluidité et l’instantanéité. Le génie n’est jamais qu'une prodigieuse évidence, l’expression manifeste d'une simplicité parfaite, quand surgit l'impression fallacieuse que tout est facile, qu'un sport redevient un jeu d’enfant. Les joueurs, avec Lucien Favre, apprennent cela.

Arrivée triomphale à l'entraînement.
Arrivée triomphale à l'entraînement.

Quatre ans plus tard, Nice raconte encore ses entraînements sans fin où des pros et des «Balo» révisaient leurs fondamentaux comme des juniors B. C'est ce qu'ils espèrent retrouver. Ils ont adopté la méthode et, plus encore, l’homme qui l’enseigne, sa bienveillance et son ambition immense, sa chaleur toute vaudoise et sa passion du sud, son besoin de transmettre, sa personnalité extraordinairement simple (géniale?). Même cette façon de présenter ses futurs adversaires comme des phénix ou de s'exclamer après une victoire 4-0: «Ouuuh, il y a encore beaucoup de travail».

Cette reconnaissance, si elle ne l'empêche pas de douter, est assurément sa plus belle revanche. La revanche plus personnelle d’un ex-joueur incompris, que des polémiques assez stupides et inutilement blessantes avaient affublé d’une réputation de diva, très éloignée des valeurs et de l’humilité de l’homme vrai. Lucien Favre nous l’avait avoué un jour que nous l'interviewions chez lui, dans sa maison chaleureuse et... simple. Il l’avait dit comme ça, sans chichi: «Quand j’ai choisi de devenir entraîneur, c’était aussi pour montrer qui j’étais vraiment. Il y avait dans l’opinion publique une perception de moi lourde à porter. Pourquoi s’en cacher? C’était dur à vivre».

Il est désormais apprécié partout, non seulement pour ses compétences d'entraîneur, «l'un des meilleurs que j'ai rencontrés», selon Pep Guardiola, mais pour ses qualités humaines, notamment à Nice où elles valent cher. Encore quelques années et le front de mer sera rebaptisé «la promenade des Vaudois».

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