La sélection galloise serait bien inspirée d'avoir emmené avec elle un traducteur à la Coupe du monde au Qatar. Parce que la grande majorité des joueurs risque de ne pas comprendre certaines questions de leurs propres compatriotes journalistes. Et pour cause: la fédération a décidé que les questions posées en gallois – une langue que ne maîtrisent pas 73% des Gallois – auront la priorité sur celles formulées en anglais. Un symbole très fort, dans la continuité de la ferveur nationaliste qui grandit depuis les années 2010 au pays de Gareth Bale.
Les bons résultats actuels de la sélection, après plusieurs décennies de vaches maigres, sont l'une des raisons de cette poussée patriotique. Avec un moment particulièrement important: l'Euro 2016, où les Dragons ont réussi l'inattendu exploit d'atteindre les demi-finales. «Tout a changé cet été-là, parce que, pour la première fois depuis très longtemps, c'était cool d'être gallois, de se sentir gallois», explique dans le magazine So Foot Martin Johnes, historien à l'université de Swansea.
L'équipe, actuellement dirigée par Rob Page, devient alors une véritable ambassadrice, à travers laquelle les Gallois peuvent exprimer leur fierté dans les stades et la rue ou sur les réseaux sociaux. Mais aussi leurs revendications. Celle d'abord d'être reconnu comme un peuple à part entière, distinct du Royaume-Uni et de sa nation dirigeante, l'Angleterre, à laquelle le Pays de Galles est subordonné depuis le 13e siècle.
Il n'a pas fallu attendre 2016 pour que la fédération galloise de football affirme son identité nationale. La nomination de Ian Gwyn Hughes comme chef des affaires publiques en 2010 marque un tournant. Il décide de remplacer «Wales» (le nom officiel du Pays de Galles en anglais) par «Cymru» (le terme gallois) sur les programmes de matchs. Ensuite, il oblige les joueurs à chanter l'hymne national, Hen Wlad Fy Nhadau (Vieux pays de nos ancêtres), avant les matchs.
Il emmène aussi la délégation loin des terrains de foot, sur des lieux importants de l'histoire galloise, comme un mémorial de la Première Guerre mondiale en Belgique, où Gareth Bale rend personnellement hommage à un compatriote poète mort lors de la bataille d'Ypres (1915). Et puis, certains joueurs commencent à donner des interviews en gallois dans les médias, à l'image d'Aaron Ramsey. Prochaine étape, prévue après le Mondial qatari: utiliser «Cymru» dans toutes les communications officielles de la Fifa et de l'Uefa.
Derrière ce besoin d'affirmation nationale, la situation géopolitique du Pays de Galles joue un rôle majeur. Le sentiment d'être discriminé, voire anéanti par l'Angleterre, explique le fort ressentiment de certains leaders de la cause galloise.
C'est le cas de Dafydd Iwan (79 ans), chanteur attitré – en gallois évidemment – de la sélection qui a fait de la prison dans les années 1970 pour avoir peint des panneaux routiers, histoire d'exiger leur traduction en gallois, et refuser de payer les amendes. Ou encore celui de Dano Lewis, membre et fondateur du groupe de supporters au nom explicite «Welsh Fans for Independance» qui manifeste avant chaque match à domicile des Dragons. Il raconte son traumatisme dans So Foot:
Outre ces souvenirs douloureux de discriminations dans les interactions du quotidien, la misère sociale et économique d'anciennes régions minières nourrit la volonté des Gallois de s'émanciper de la tutelle anglaise. Tout comme le Brexit, en 2016. «Le Brexit a servi d'étincelle à la fibre nationaliste de pas mal de gens», observe Martin Johnes dans So Foot. L'historien gallois enchaîne:
Autant dire que le match Pays de Galles - Angleterre mardi 29 novembre, lors de la 3e journée de poules de la Coupe du monde, servira de cadre parfait pour l'affirmation des fans des Dragons. Et, qu'une victoire contre l'ennemi héréditaire donnera un nouveau coup de boost à leur fibre nationaliste.