Eden Hazard au Real Madrid, c’est l’histoire d’un footballeur qui réalise son rêve de gosse, qui s’engage avec le club de sa vie. C’est l'histoire d’un garçon gentil, amoureux d’une fille de bonne famille, ébloui depuis qu’il est tout petit. Il la suit, la chérit (secrètement, puis publiquement), il lui promet que si elle veut bien de lui un jour, il la rendra heureuse et fière. Mais il fait tout de travers.
Ce grand jour est arrivé: Eden Hazard signe au Real Madrid le 7 juin 2019. La cérémonie a lieu le 13, devant 50 000 spectateurs. Seul Cristiano Ronaldo en a réuni davantage (70 000). Hazard porte un beau costume gris cintré, avec une cravate pile à l'heure. Toute sa famille est là, sauf le petit dernier «qui est à l’école». Quand il ne les baisse pas sous le poids des responsabilités, ses yeux transpirent l’amour. «J'ai rêvé de ce moment depuis tout petit. Depuis que j'ai commencé à jouer au foot avec mes frères», répète-t-il d’une voix timide.
Il a tout fait pour attirer l’attention. Il était tellement beau à voir, tellement bon avec Chelsea, auquel il a donné tant de titres (deux championnats, une Cup) et de bonheur (95 buts), que le Real a fini par s'intéresser à lui. Il était irrésistible: il virevoltait, il narguait, il sautillait sur chaque pied comme un danseur de claquettes, ses dribbles espiègles semblaient conçus pour épater les filles à la récré; et ce fut le Real.
On n’avait jamais versé pareille dot: 115 millions d'euros officiellement, 160 selon les football leaks. Cher, très cher Eden Hazard... Quand il a dit oui et qu’il a embrassé sa nouvelle carrière madrilène, plutôt que de rentrer sagement à la Casa blanca, il est parti fêter avec les potes.
A son retour, il était presque méconnaissable. Pas gros, pas boudiné. Mais presque. Quatre à six kilos de trop selon le niveau de tolérance.
Ce n’était pas si grave, dans le fond. Mais le Real s’en faisait une haute idée. Le Real, historiquement, place l’exigence au sommet de son échelle de valeurs. Forcément, il y a vu une forme de désinvolture et de sottise. Comme un petit laisser-aller post-nuptial quand, déjà, on ne ferme plus la porte des toilettes après deux nuits. En bon français: un petit foutage de gueule.
Cette méforme est vite devenue un débat de fond, tant elle reposait la question de l’investissement des uns (160 millions, faut-il le répéter?) et des autres (cinq kilos de trop, s'il faut tout arrondir). Les voisins de l’Atlético ont ricané. Les amis du Real se sont bien moqués d’Eden Hazard. Ils l’ont surnommé le «gordito», le petit gros. Bien mauvais départ.
Une première blessure à une cuisse brise son début d’élan en août. Hazard revient mais il traîne la patte. Après cinq matchs, il n’a toujours pas marqué. Il virevolte comme un camion-grue, il ne ferait plus tomber la moindre fille dans aucune cour de récré. Même ses feintes ne trompent plus personne.
Et ça continue… Deuxième blessure en novembre (genou), puis une autre (fissure au pied), puis encore une autre (fissure du péroné), puis plein d'autres (blessure musculaire, grippe intestinale, etc). Eden Hazard n’est jamais là quand on a besoin de lui: 61 apparitions depuis son arrivée à Madrid. Quand il s'essaie tant bien que mal, il traîne une vieille blessure, ou alors une vieille fatigue, si ce n’est pas un vieux spleen. Il a 31 ans mais il a déjà perdu l’élan fougueux des jours heureux, jusqu’à la débandade (cinq buts en trois ans).
Il a le ventre plat mais on continue de lui donner du «gordito», une façon un brin félonne de le ramener à sa condition de goinfre prolétarien. Le Real Madrid lui cherche un remplaçant et ne nie même plus ses rendez-vous avec Kylian Mbappé.
Eden Hazard demande vaguement pardon. Il voudrait repartir de zéro et rendre la confiance qu’on lui a généreusement accordée. Il est désespéré, le gars qui sait qu’il va se faire larguer. Mais «le contrat dure encore deux ans», a-t-il rappelé la semaine dernière, de peur que personne ne l’ait remarqué.
Il essaie de recoller les morceaux. Pour la première fois de sa vie, selon Marca, il travaille en dehors des heures d'entraînement et soigne son alimentation. Il répète qu'il se sent bien à Madrid (il ne dit pas au Real). A 15 millions d’euros la saison, sa maison sur les hauts et ses quatre garçons à l’école juste à côté, il ne se voit pas ailleurs. Sauf qu’ici, le désamour dure trois ans. Le Real voudrait qu’il prenne ses cliques et ses claquettes.
A la dernière fête du club, le 1er mai (35e titre, la fête du travail bien fait), il y avait des chants paillards, des danses, des photos, et il y avait Eden Hazard, celui que l’on ne regarde même plus. L’équipe est irrésistible, c’est maintenant elle qui fête entre potes et lui un peu de côté, un peu marri, seul avec ses remords. Heureusement que Benzema vient lui chatouiller le menton pour débloquer un sourire.
Des images qu’on aime voir : Karim Benzema qui essaye de faire sourire Eden Hazard 🫶pic.twitter.com/ez13lb3gL6
— Actu @BelRedDevils 🇧🇪 (@BelgianPlayers) April 30, 2022
Plusieurs sources laissaient entendre qu’il entrerait en ligne de compte ce mercredi soir contre Manchester City. Encore raté: «Un temps espéré, Eden Hazard sera absent», déchantent les Belges de la télévision publique. L’entraîneur Carlo Ancelotti ne l’a même pas convoqué.
Hazard au Real Madrid, c'est d'abord un bide. C'est l'histoire d’un saltimbanque qui échoue à s’élever dans la vieille bourgeoisie du football européen, jusqu’à l’ennuyer prodigieusement, et qui souffre de ne plus exercer son talent. C’est triste, «c’est un immense gâchis» (Jérôme Rothen), mais comme disait Balzac, «en amour, il y en a toujours un qui souffre et l’autre qui s’ennuie».