Alex, d'où vient le dragon de vos dessins? Sur quel modèle vous êtes-vous basé pour le réaliser?
Il vient de la vallée du Gottéron, comme dans la légende, et plus concrètement du premier motif choisi par le club pour le représenter. C'était à la fin des années 90. L'animal était vert, avec une corne rouge sur le pif, une bleue sur le front et des écailles de la même couleur sur le dos. J'ai repris ce motif pour en faire un cartoon, un personnage de BD. Le logo du club a changé par la suite mais mon dragon, lui, est toujours resté le même.
On le voit souvent dans les pages de La Liberté pendant ces play-off.
Oui et c'est normal: la plupart du canton est en ébullition pendant les séries finales, donc j'évoque Gottéron un jour sur deux ou sur trois dans mes dessins en ce moment. Cela me permet aussi de m'intéresser à autre chose qu'à Trump, qu'au Proche-Orient ou à l'Ukraine. Et puis, parler de hockey rend l'actualité un peu plus légère, et c'est aussi le but d'un dessin de presse.
Les fans de sport sont très susceptibles quand il s'agit de leur équipe, surtout en fin de saison. Comment trouvez-vous le ton juste pour ne pas les froisser?
En fait, j'adopte exactement la même ligne avec Gottéron qu'avec les autres sujets que je traite. Je n'ai pas besoin de réfléchir aux limites à ne pas franchir car elles sont naturelles. Cela fait 25 ans que je travaille pour La Liberté, je connais bien mon lectorat et ceux à qui mes dessins s'adressent. Je pense qu'on peut tout à fait chambrer les équipes adverses, surtout que mes dessins les plus cruels sur le hockey sont ceux dans lesquels je me moque de Fribourg-Gottéron, par exemple quand il ne met pas un patin devant l'autre.
Dans le sport, mais aussi dans la vie en général, on a souvent tendance à être plus dur avec l'équipe qu'on aime. C'est aussi votre cas?
Oui. Je suis supporter de Fribourg depuis que j'ai 7-8 ans et je vais voir tous les matchs à domicile, donc quand je plaisante sur l'équipe, c'est de l'auto-dérision.
C'est vrai que vous n'êtes pas toujours tendre avec ce grand bonhomme vert.
Oh la la! Je l'ai déjà transformé en Frankenstein, en personnage de Walking Dead, il s'est noyé dans la glace, s'est fait découper en morceaux. Je prends un malin plaisir à le bousculer de tous côtés, car c'est cela qui est intéressant et drôle. En fait, je suis très embêté quand le dragon va bien, c'est à dire quand Fribourg gagne, car il y a beaucoup moins de choses à raconter.
Combien de temps mettez-vous pour faire un dessin?
Une journée. C'est ma journée de travail.
Et c'est vous qui choisissez le sujet sur lequel vous allez plancher chaque matin?
Oui. J'ai une case à remplir, elle m'appartient en quelque sorte, et c'est moi qui décide du sujet et de la manière de le traiter.
Y'a-t-il un dessin du dragon que vous avez regretté d'avoir publié?
Non. Je n'ai jamais regretté d'avoir publié un seul dessin de presse de ma vie, et j'espère n'avoir jamais à le faire.
Alors y'en a-t-il un qui vous a marqué?
(Il réfléchit longuement). J'en ai fait plusieurs sur le fait que Gottéron n'a jamais été champion, c'est devenu un running gag. Quand le club a fêté ses 80 ans, j'ai représenté le dragon qui faisait un apéro dans sa grotte avec l'ours de Berne, le lion de Zurich, etc. Les bestiaux adverses lui demandaient s'il se souvenait de l'année du titre, et lui répondait qu'il avait Alzheimer!!! Sinon, dans un humour plus potache, et quand les résultats ne suivaient pas alors que la patinoire était pleine, j'ai dessiné un dragon avec «le guichet fermé» sur les toilettes.
Vous avez déjà réalisé entre 100 et 150 caricatures de la mascotte fribourgeoise dans votre carrière. Pensez-vous qu'un jour il n'y aura plus rien à raconter sur ce personnage?
C'est vrai que je me demande parfois ce que je peux encore bien lui trouver à faire à ce dragon, mais ça vient toujours! Parce que les séries finales sont toujours différentes et parce qu'avec le temps, le dragon n'a plus grand-chose à voir avec le hockey. Il a déjà fait tellement de choses différentes, c'est devenu un personnage de Tex Avery.
Il y a une chose qu'il n'a encore jamais faite, c'est soulever le trophée de champion. Cette année, c'est la bonne?
Comme chaque année, c'est tout le temps la bonne! Mais sur un malentendu, ça peut même être la bonne de chez bonne!
Mais le jour où Fribourg sera champion, votre dragon ne sera plus vraiment le même...
C'est certain. On aime tous les perdants magnifiques. Si un jour le verrou saute et que Gottéron remporte enfin le titre, quelque chose changera. C'est difficile d'imaginer ce qu'il se passera ensuite, mais je ne suis pas trop pressé de le savoir. On a le temps!