Ce n'est pas un scoop. L'alimentation d'un sportif professionnel est sacrée. Une partie intégrante de l'entraînement, au même titre que le conditionnement physique, les séances de kiné et un sommeil réparateur. Pour assouvir l'appétit vorace des confrères et consoeurs de Michael Phelps et Usain Bolt (qui affichaient l'un et l'autre des consommations allant jusqu'à 10 000 calories par jour, soit quatre fois plus qu'un être humain normal), le «plus grand restaurant du monde» n'était pas de trop: la cantine du village olympique.
Ce gigantissimme réfectoire porte bien son nom. En chiffres, la cantine olympique de Paris 2024, c'est 14 850 estomacs à satisfaire jour et nuit, 40 000 repas par jour, 13 millions de repas sur les deux quinzaines des Jeux olympiques et paralympiques. Pour assurer le service, 20 chefs du monde entier, une brigade de 200 cuisiniers, un atelier de production au sous-sol et cinq cuisines de proximité qui alimentent directement les espaces de restauration. Au total, ce sont près de 1000 personnes qui se relaient 24 heures sur 24.
Le tout se situe dans un gigantesque complexe de 4200 mètres carrés, un ancien studio de cinéma de St-Denis. Sous une verrière d'une hauteur vertigineuse, le complexe se divise en six restaurants et quatre thématiques: asiatique, hallal, cuisine du monde et cuisine française. Un lieu aux airs de cafétéria universitaire, avec de longues tables, des distributeurs de céréales, des fontaines à soda et de grandes alignées de buffets semblables à n'importe quel hôtel du monde. A la différence qu'ils proposent une étourdissante panoplie de plats - plus de 500 recettes différentes.
La cantine doit répondre à tout un tas d'exigences sportives, culturelles et alimentaires bien précises. A chaque nation ses exigences: du kimchi en quantité pour les Coréens, du miso pour les Japonais, du riz gluant pour les Chinois ou de l'avoine pour les Irlandais. Certains sportifs sont également très pointilleux. Par exemple, rappelle le Daily Telegraph, les taekwondoïstes tiennent absolument à la viande froide, des sandwichs et des salades - quand les volleyeurs et les équipes d'aviron préfèrent les buffets chauds.
Pour leurs Jeux, les Français ont mis un point d'honneur à mettre en avant leur réputation de pays de la gastronomie. Leur promesse? Une «cuisine de très haut niveau», des fromages raffinés (douze sortes au total), des ingrédients locaux, de la viande française, des légumes frais et même une immense boulangerie à l'entrée du village pour couvrir les athlètes de baguettes, croissants, pains au chocolat et focaccia maison. «Chaque village possède sa boulangerie», explique Guillaume Thomas, chargé de communication des Jeux olympiques de Paris.
Sans oublier, en guise de tacle aux Britanniques et aux JO de Londres où 20% de la cuisine était livrée par McDonald's, cette année, le mot d'ordre était... sain.
Cerise sur le gâteau? Une poignée de recettes aux petits oignons signées par de grands chefs étoilés français, comme Alexandre Mazzia et son «merlu en deux cuissons, brûlé légèrement au chalumeau avec du saté, bouillon de légumes réduit trois fois, purée de pois chiches montée à l’eau de verveine, petit pois, condiment betterave, anneau de pain aux céréales passé au four».
Qui dit grandes promesses, dit grandes attentes... et fatalement, grandes déceptions. Car, au quotidien, le menu des sportifs au village olympique relève plus de la bonne vieille cantine scolaire que du trois étoiles Michelin.
Pour s'en convaincre, il suffit d'aller vagabonder un moment sur TikTok, où des dizaines d'athlètes partagent le contenu de leur assiette et leurs vadrouilles entre les buffets à salade du réfectoire. Certains se transformant en véritables critiques gastronomiques d'un jour, plus acerbes que l'impitoyable journaliste François Simon.
Depuis l'ouverture de cette buvette géante, les coups de gueule se suivent et ne se ressemblent pas. Les plaintes portent sur les formes des assiettes jugées trop glissantes, aux files d'attente aux buffets, en passant par la cuisson hasardeuse de la viande et le manque d'oeufs et de brochettes de viande.
Au point que, la semaine dernière, les hockeyeurs allemands et la délégation britannique ont décidé de boycotter le restaurant olympique et de faire appel à leur propre chef. Les organisateurs, eux, ont réagi au quart de tour, en revoyant les portions de protéines à la hausse et en promettant de rester à l'écoute des demandes spécifiques des athlètes.
Ceci dit, un aliment semble quand même faire l'unanimité absolue au village olympique, au point de provoquer une véritable frénésie. Un met pour le moins inattendu, au pays de la baguette et du fromage de chèvre.
Tout a commencé le 26 juillet, lorsque le norvégien Henrik Christiansen, nageur émérite et critique gastronomique à ses heures perdues, se lance dans une ambitieuse notation de ses plats préférés du jour. Après avoir dispensé une note solide de 7/10 aux pâtes au pesto et aux brochettes de porc, puis un généreux 8/10 aux beignets vapeur de crevettes, c'est un dessert qui ravit définitivement ses papilles.
Un humble muffin au chocolat rafle un score sans précédent de 11/10. Il devient bien vite un sujet de conversation et une véritable légende sur le village olympique.
Bien inspirés par leur collègue Henrik Christiansen, de nombreux autres athlètes se ruent vers le buffet de desserts pour goûter à leur tour à ce petit gâteau prometteur à l'aspect rond et chocolaté fort appétissant. La friandise insaisissable devient l'objet d'une véritable chasse au trésor sur les réseaux sociaux.
Une «muffinmania» telle que les internautes tentent bientôt de percer le secret de ses origines. Qui est donc son pâtissier? Y'a-t-il moyen de se procurer la recette? Après une vague d’espionnage en ligne et de conspirations folles, le mystère finit par finalement être résolu. Le responsable de cette folie n'a pas tardé à se dénoncer sur LinkedIn: le fournisseur français de produits surgelés Coup de pates. Le muffin bien-aimé du village olympique n'est autre que son «Maxi Muffin Chocolat Intense».
C'était bien la peine des organisateurs de s'échiner à promouvoir une alimentation saine et équilibrée; c'est finalement un muffin industriel au chocolat qui a volé la vedette au poisson blanc en deux cuissons sur son lit d'haricots. On ne se refait pas.