Ce samedi dès 11h30, Marco Odermatt tentera de remporter pour la première fois la descente de Kitzbühel en Autriche, la mythique Streif.
C'est un autre Suisse, Didier Cuche, qui y détient le record du nombres de victoires (5, en 1998, 2008, 2010, 2011 et 2012). Le Neuchâtelois (50 ans) – qui a pris sa retraite en 2012 – sera à Kitzbühel ce samedi. Il travaille pour son partenaire, Audi, et fait découvrir les coulisses du monde du ski aux invités.
Personne d'autre n'est mieux placé que Didier Cuche pour donner des conseils à Marco Odermatt, histoire que ce dernier puisse (enfin) monter sur la première marche du podium après cette légendaire descente. Les voici.
Didier Cuche, quels sont vos souvenirs de la Streif?
DIDIER CUCHE: D'abord, en tant que jeune skieur, les entraîneurs ne te convoquent pour Kitzbühel que s'ils te font confiance. J'avais beaucoup entendu parler de cette descente, mais quand je l'ai vue pour la première fois, j'ai pensé: «Le parcours est dingue!».
Je n'étais que le dossard 40 et lorsque j'ai entendu l'hélicoptère voler encore et encore, mes genoux ont commencé à trembler. Mentalement, c'était une expérience extrême. Je me suis alors demandé: «Est-ce que je veux vraiment m'infliger ça?»
Vous et la Streif, c'est ensuite devenu une histoire d'amour.
Lors de ma première course en 1996, j'ai terminé 22e, mais l'année suivante, je n'ai pas pu y participer à cause d'une jambe cassée. J'ai gagné pour la première fois dans ce lieu particulier en 1998. Il s'agissait d'une descente raccourcie, c'est pourquoi ma deuxième place, le lendemain sur la piste originale, a eu encore plus de signification pour moi. Je n'ai terminé qu'à 14 centièmes de Kristian Ghedina. C'était l'acte fondateur de mes succès à Kitzbühel.
Pourquoi vous êtes-vous si bien débrouillé sur ce qui est probablement le parcours le plus dangereux du monde?
Moi aussi, j'avais à chaque fois un stress intérieur et je voyais les dangers. Mais dos au mur, avec une piste ultra-difficile comme principale adversaire, ça m'a motivé et c'est comme ça que j'ai pu donner le meilleur de moi-même. Sur d'autres parcours qui, sur le papier, semblent plus faciles que la Streif, je n'ai jamais vraiment trouvé la clé de la victoire. Il faut l'accepter et ne pas forcer les choses. C'est ce qui m'est arrivé à Bormio, par exemple.
Quel genre de courage faut-il avoir pour attaquer sur la Streif?
Il en faut plus que sur n'importe quelle autre piste. Mais quand on y a connu le succès tôt dans sa carrière, comme moi, ça donne confiance. Les dernières années, j'ai toujours été considéré comme le grand favori, tout le monde attendait de moi la victoire, et cette foi en mes capacités m'a rendu fort.
C'est quoi, la clé pour gagner?
Le chemin le plus court n'est pas toujours le plus rapide. Il faut savoir lire le parcours: la jouer tactique et anticiper les passages sur lesquels on peut gagner du temps.
Le matériel joue aussi un rôle important, mon serviceman était aussi perfectionniste que moi.
A part le Steilhang, quels sont les autres passages clés?
L'Hausbergkante, c'est la dernière grande épreuve niveau courage. La force centrifuge y est énorme, en une fraction de seconde tu peux gagner ou perdre la course. Et j'ai failli oublier: l'Haarnadel (Epingle à cheveux) avant le Steilhang: il faut la skier avec audace, mais pas trop. Le plus important, c'est de garder le rythme.
Marco Odermatt devrait être l'un des prochains Suisses à gagner la Streif. Pourquoi ça n'a pas encore marché pour lui?
En 2023, il a sans doute pris le 1% de risque en trop dans le Steilhang. Il a évité de justesse la chute. Sans cette mésaventure, il aurait gagné, cela ne fait aucun doute. C'est seulement une question de temps avant qu'il ne remporte sa première victoire sur la descente de Kitzbühel.
En quoi en êtes-vous si sûr?
Il y a d'abord ses qualités. Et puis, il n'a que 27 ans et aura encore suffisamment d'opportunités sur cette piste.
Bien sûr, il faut aussi tenir compte de la concurrence. La saison dernière, il y a eu tout à coup Cyprien Sarrazin, qui skiait encore plus vite que Marco. Mais comme je l'ai dit: s'il reste en bonne santé, Marco gagnera un jour la Streif.
Odermatt vous a-t-il déjà demandé conseil? Après tout, avec cinq victoires, vous êtes le recordman de sacres à Kitzbühel.
Pas directement, mais je discutais de temps en temps avec Justin Murisier. Et les deux sont de bons amis. Du coup, peut-être que l'un ou l'autre de mes conseils est parvenu à Marco.
Est-ce qu'on vous déroule encore le tapis rouge à Kitzbühel, 13 ans après votre retraite?
Je suis invité chaque année par le comité d'organisation, mais je dois faire mon job pendant les courses. Je passe toutefois toujours dans le bureau, où je suis chaleureusement accueilli.
Il n'y a pas de ressentiment de la part des Autrichiens parce que c'est un Suisse qui a le record de victoires sur la Streif?
Pas du tout. J'ai toujours aimé skier en Autriche. Et à cause de la rivalité entre ces deux nations de ski, les victoires y étaient toujours particulièrement savoureuses.
Vous étiez très méticuleux dans votre préparation. A quel point l'analyse de la piste, avant la course, est-elle déterminante?
Ma devise a toujours été: franchir la ligne d'arrivée en bonne santé, avec mes capacités et avec ce que la piste me permet de faire. Si l'une de ces limites est régulièrement dépassée, ça ne peut pas durer une saison pour un skieur.
Personnellement, j'ai gardé un œil encore plus attentif sur mes limites dans les phases difficiles.
C'est-à-dire?
Au début des années 2000, les Autrichiens dominaient les disciplines de vitesse. Certains se moquaient de nous, les Suisses, en nous traitant de lâches.
Et je n'ai recommencé à attaquer que lorsque mes capacités étaient revenues et que j'avais confiance en moi. C'est comme pour la conduite d'une voiture: tout le monde peut accélérer, mais l'art consiste à maîtriser le véhicule.
Traduction et adaptation en français: Yoann Graber