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Grondés et injuriés, les coachs de tennis deviennent des souffre-douleur

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Grondés et injuriés, les coachs deviennent des souffre-douleur

Gilles Cervara a quitté les tribunes en pleine finale, dimanche, après avoir essuyé les insultes de son joueur Daniil Medvedev. Parce que coach est le faux job le plus cool du monde.
20.06.2022, 18:5721.06.2022, 06:29
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Comme dans un couple, ça commence par des regards, puis des reproches, puis des gesticulations. La plupart en restent là. Pas Daniil Medvedev et Gilles Cervara, dont les disputes font le sel du tennis et de ses relations fusionnelles.

Balayé par Hubert Hurkacz en finale du tournoi de Halle (6-1 6-4), Medvedev a vilipendé son coach devant tout le monde, insinuant qu'il était responsable de ses malheurs. Cervara a pris ses affaires et il est parti - mais il reviendra, comme toujours.

Ce n'est pas la première fois que de telles choses arrivent. L'an dernier à Melbourne, Cervara a quitté les tribunes en boudant, alors que son protégé brisait des raquettes en hurlant: «Laisse-moi!» Le coach l'a pris au mot: «Il valait mieux que je parte. Soit tu acceptes d’être là à attendre que ça se termine lamentablement. Soit tu lui dis entre guillemets: “Je ne veux pas cautionner ça, donc je me casse. J’ai le droit et c’est mon choix.”»

Tous les joueurs savent la charge nerveuse qu'impose le tennis, un sport où interfèrent tout à la fois l'effort intense, la précision extrême et la prise de décision constante, au rythme d'une intervention chaque deux secondes. «Au bout d'un moment, quand rien ne marche et que les balles défilent, on croit devenir cinglés», s'est justifié Andy Murray. Frapper des balles jusqu'à en devenir fou: c'est le destin des frappadingues.

Avant, quand ils cherchaient un souffre-douleur, les joueurs se tournaient vers l'arbitre ou l'adversaire. Depuis que les incivilités sont sanctionnées, beaucoup ont trouvé un nouvel exutoire dans leur propre staff.

Le box et son boxon

Ils sont rassemblés dans un coin des tribunes, appelé «le box». On y est comme dans le carré VIP d'une boîte de nuit: les invités comme les employés sont conviés à vénérer leur hôte sans réserve, avec un bel enthousiasme. L’activité sociale y est strictement codifiée: l’attribution des places, les circuits de conversation, la façon de ne jamais paraître consterné ou catastrophé, de dissimuler son ennui, son pessimisme, jusqu'à son besoin de faire pipi.

Nous en avions parlé avec Roger Federer en 2019. «Avec l’âge, je tire plus d’énergie de mon box, avouait le Bâlois. Je recherche beaucoup plus le contact visuel. Je suis réceptif au langage corporel, surtout quand je suis en difficulté.»

«Quand je regarde mon box, il est important que je le sente intéressé, idéalement concerné. Je déteste que dix personnes soient penchées sur leur portable en train de lire leurs mails»

«Mais je n’attends pas non plus qu’ils deviennent hystériques, précisait le Maître. Je n’ai pas envie qu’on me stresse en criant à tout bout de champ: «C’est CE point, maintenant!» De la même façon que je n’engueule jamais mon team.»

Ce n'est pas le cas ailleurs, où des staffs grassement rémunérés essuient des quolibets à longueur de fautes directes, sans sourciller. Quand Cervara est seul dans le box, il porte le chapeau. Quand il est accompagné de Madame Medvedev, il tient encore la chandelle. «Dasha, merci beaucoup. Je sais que ce n’est pas facile d’être à côté de moi sur le court», a lancé le no 1 mondial au micro du stade, dimanche, en feignant d'ignorer «quelqu'un».

La relation coach-joueur subit aussi les effets désinhibants d'une certaine usure, comme dans un vieux couple. Pendant quinze ans, Marian Vajda fut à la fois l'émissaire et le bouc-émissaire de Novak Djokovic, payé à répondre de tout, d'un schéma tactique mal appliqué à des chaussures mal lacées. Les deux hommes ont annoncé la fin de leur collaboration en mars dernier, officiellement parce que Vajda voulait consacrer davantage de temps à sa famille (l'équivalent tennistique de la formule: il a souhaité donner une nouvelle orientation à sa carrière), mais le milieu le sait usé par les colères de Djokovic.

Amélie Mauresmo a quitté Andy Murray pour les mêmes raisons, après avoir pris un peu de distance en suivant les matchs dans le public, à l'abri des invectives. «Mais je ne pouvais plus tout accepter.»

«Regarde-moi quand je te parle, plutôt que de faire cette tête de con. Sois un homme!»
Fabio Fognini à son coach, Monte-Carlo 2014

Même le père de Belinda Bencic a fini par claquer une porte. La joueuse suisse reconnaît elle-même qu'elle n'a pas peur des mots, dussent-ils dépasser sa pensée: «De mon équipe, j’attends qu’elle me pousse. Je crois que je me bats beaucoup sur un terrain et si je vois mon clan vautré sur une chaise, ça ne me plaît pas, je l’indique clairement», expliquait-elle à l'US Open 2018.

Coach, un job ambigu
et faussement cool

Disons-le: nous nous méprenons totalement sur la profession de coach. Nous en avons l'image que les télévisions veulent bien nous donner, en quelques plans de coupe furtifs. Nous avons cette image trompeuse d'un bellâtre assis aux premières loges, d'où il regarde passer les balles, accessoirement les filles, avec le même œil avisé, en opinant du chef (car c'est lui le chef) et avec des lunettes noires (comme tout bon observateur aveuglé par le talent de son client).

Les effluves d’ambre solaire qu'il traine à sa suite flottent dans les coulisses comme un parfum d’ivresse, les réminiscences d’un «see, sex and sun» à la sauce tennistique, «mâter des matchs, honorer des groupies et se bronzer les pecs», comme nous le résumait (en des termes moins choisis) une joueuse qui les a toujours préférés mariés et pâles.

Vu sous cet angle, le coach a la belle vie: il voyage toute l'année, mange gratuit à la cantine ou au resto, roule les biscoteaux. Il puise dans ses notes des schémas préconçus et, quand il n’y a plus d’espoir, ressort ce précepte indémodable: «Play your game» (joue ton jeu). Il n’a pas de ménage à faire, pas de chien à sortir, ni de gazon à tondre. Seul lui incombe de prendre la vie par le bon bout de la raquette, «day by day» (en bon français: match après match).

Dans les hôtels officiels, les coaches forment une communauté aisément reconnaissable, aussi «brandée» que les Amish ou les Hare Krishna: shorts fatigués, chaussettes blanches à mi-mollet, gobelets Starbucks, polo fluo sur un bronzage 100% écolo. Ce teint hâlé est la marque distinctive de leurs lundis au soleil. «Certains voyagent toute l’année dans cette tenue et ne possèdent même pas une paire de jeans», (mé)dit un collègue quadragénaire. D’autres y ajoutent un bandeau aux poignets ou, pis, sur le front, un petit côté Richie Tenenbaum sans la posture décalée (photo👇).

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Or cette vie de rêve est d'abord un fantasme. Lorsqu'un joueur dit de son coach qu'il est tout pour lui, il ne ment pas: l'homme est à la fois son conseiller, son psy, son père, son intendant et sa nounou. Du technicien au larbin, il y a des milliers de pas que le coach effectue pour réserver un court d'entraînement, trouver un partenaire, apporter les raquettes chez le cordeur, ramasser les balles entre les échanges, glisser un mot à l’oreille du patron, sans oublier d’aller chercher une corbeille de fruits et des bouteilles d'eau. Parfois, cette course effrénée sort des limites du court. Des idylles commencent près de la machine à café et finissent par un dernier verre, avant d’être couchées sur papier glacé.

Patrick Mouratoglou a fini par former un couple célèbre avec sa protégée Serena Williams.
Patrick Mouratoglou a fini par former un couple célèbre avec sa protégée Serena Williams.

Le SMIC est à 1250 dollars la semaine, tandis que les hauts revenus atteignent 5000 dollars. Ancien mentor de Pete Sampras et Maria Sharapova, Robert Lansdorp raconte dans «Inside Tennis» à quel point les élites de ce sport sont ingrates et chiches: «De toute ma carrière, je n’ai jamais reçu le moindre cadeau. Pas même une petite attention à 500 dollars. Des joueurs sont devenus multimillionnaires avec moi et je n’ai rien eu en retour. Je vous le dis, si Maria (Sharapova) ne dépose pas un jour une Mercedes (son sponsor) dans l’allée de ma villa, je me tire une balle.»

C’est là toute l’ambiguïté d'une relation où, statutairement, l’employeur devient l’employé, où le joueur engage un coach pour le diriger, en lui demandant d’exercer des pleins pouvoirs qu’il ne lui accordera jamais. Comme un couple qui jure de tout se dire, mais qui n'est pas prêt à tout entendre.

Version adaptée d'un article paru le 7 juin 2021 sur watson

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