Trois défaites depuis le début de l'année, 2,5 jeux concédés par set depuis son entrée à Roland-Garros. Et une drôle de façon d'écraser ses adversaires - mais peut-on rire de tout?, comme dirait notre collègue Julien Caloz. Après avoir humilié Stefanos Tsitsipas 6-2 6-1 7-6, Carlos Alcaraz a reconnu que «ce match était peut-être le meilleur de ma carrière»:
Stefanos Tsitsipas a sorti des excuses de collégien, mal dormi, jovialité patraque, et une dose de mauvaise foi pour soigner ses blessures d'amour-propre: «Le gamin (sic) a très bien joué, pas de manière exceptionnelle, mais très bien.» Autant le dire: si Alcaraz devait avoir le malheur de mieux jouer, les télévisions devront prévoir des dessins animés pour combler les cases horaires réservées aux demi-finales.
Djokovic, à l'usure et à l'expérience, peut-il dérégler le tennis-total d'Alcaraz, la force surhumaine de son coup droit et la fougue incandescente de son déplacement, cette façon de tout faire à fond, toujours (y compris les erreurs et les plantées)?
«Alcaraz a très peu de faille, capitule Guy Forget dans L'Equipe. Ce qui peut jouer contre lui? Il est tellement fulgurant et la voiture qu'il pilote si surpuissante que sur terre, parfois, il a des trous, car il attaque trop tôt, trop fort.»
Inutile d'espérer que le «gamin» soit intimidé, ou même qu'il dorme mal. Il le dit: «Je ne vais pas arrêter de penser à ce match! J'aimerais le jouer sans tarder! On va se régaler!»
A ce stade, Novak Djokovic a laissé une impression beaucoup plus diffuse de lenteur et d'indécision, parfois de nervosité, voire de dérive sécuritaire. Revenu à des instincts de contre-attaquant primaire, le Serbe semble moins créer du jeu qu'appliquer une méthode.
Reste que cette méthode a largement fait ses preuves, en toutes situations, jusqu'aux plus mal engagées. Comme l'explique intelligemment Mats Wilander dans sa chronique à L'Equipe, il «est toujours étonnant de voir à quel point le format en cinq sets a un impact sur l'état d'esprit des meilleurs. Djokovic en est un exemple parfait. Sur le circuit ATP, on l'a déjà vu perdre les pédales si le match s'engage mal. En Grand Chelem, c'est l'inverse. Il sait d'avance que la partie sera un marathon. Qu'il aura des hauts et des bas. Que c'est normal, même pour les meilleurs. Sachant cela, il ne panique jamais. Il a des coups de sang, mais ce n'est en aucun cas de la panique.»
L'impression générale est assez mauvaise. Mais avec Djokovic, la réalité est souvent plus cruelle.
Le grand blond aux humeurs noires est de retour sur le Central, un an après l'avoir quitté en chaise roulante et en pleurs (triple déchirure ligamentaire à la cheville droite). Il n'a pas changé: il oscille d'une frappe lourde à une émotivité pesante sur les points décisifs. Mais il est libéré d'un poids: depuis qu'il a révélé son diabète de type 1, Zverev n'a plus à courir aux toilettes pour ses piqûres d'insuline (deux à cinq par match). Il ne passe plus pour un junkie ou un dopé aux yeux de certains superviseurs bornés, dont l'un a appelé le SAMU.
Le grand Sascha n'a perdu que deux sets depuis le début du tournoi, mais sans donner beaucoup d'informations sur son niveau actuel, faute de combattants. Pour savoir ce dont il est capable, il faut remonter à «avant», à la manière dont il a martyrisé Nadal l'an dernier. Zverev avait dominé la rencontre de bout en bout, en cognant plus fort, en servant mieux, en jouant plus vite, très vite, parfois trop vite pour Nadal qui, le jour même de ses 36 ans, faisait deux fois son âge.Problème (éternel problème): Zverev avait foiré tous les points décisifs. Il avait notamment perdu le tie-break du premier set après avoir mené 6-2!
Ce fut son cauchemar, du début à la fin. Sa chance a tourné (trois fois, quatre fois, cinq fois), sa cheville a tourné; tout a mal tourné. Et tout s'est terminé par un cri de douleur si fort qu'il a plongé le stade dans le silence. Sascha Zverev a quitté le Central en chaise roulante, couvert de terre et (un peu) de honte. Peut-il tout effacer?
Il ne faut pas attendre de Casper Ruud qu'il enchaîne les services-volées et célèbre sa bravoure en déchirant des t-shirts sur le court. Ses coups d’éclat sont d'un autre ordre, et même d'un ordre impeccable, points alignés derrière la ligne avec une conduite irréprochable.
Jeudi, pour reprendre les termes d'Eurosport, Ruud a déclassé Rune avec «une justesse écœurante», dans une nouvelle démonstration de son tennis professoral. Il pense, il agit et il anticipe avec une intelligence froide, flanquée d'un petit sourire amical.
Tout ce que le tennis recèle de confrontation humaine semble étranger à ce Norvégien sans grogne ni sueur, capable de s'attaquer à plus fort que lui, mais (malheureusement pour la morale de l'histoire) rarement de se surpasser au-delà de l'aisance. Parce que parfois, oui, comme disent des joueurs nettement plus nigauds que lui, il faut savoir être un vilain garçon.