Lorsqu'il franchit la ligne d'arrivée, ce 7 avril 2024, vers 16h40, vêtu d'une chemise rétro et d'un bob, Russ Cook a l'air incrédule. Sourire béat, yeux écarquillés, il pose ses mains sur sa tête. Autour de lui, supporters, journalistes et photographes se pressent pour lui arracher une réaction. Ses premiers mots sont pour la chaîne Sky News. «Je suis un peu fatigué», admet-il avec un sourire. Le célèbre flegme britannique. Puis Russ Cook fléchit les muscles et s'élance vers la mer, pour un bain de fraîcheur bien mérité. Voilà. C'est fait. Dans ces eaux s'achève un périple entamé près d'un an plus tôt.
Beaucoup de choses ont changé depuis que Russ Cook est parti de chez lui, en février 2023, avec un objectif aussi ambitieux que frappadingue: traverser l'Afrique du sud au nord en courant. Objectif sur le papier? Accomplir 360 marathons en 240 jours, flanqué d'un van et d'une petite équipe de trois camarades et cameramen, à travers 16 pays. Afrique du Sud, Namibie, Angola, République démocratique du Congo, République du Congo, Cameroun, Nigeria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d'Ivoire, Guinée, Sénégal, Mauritanie, Algérie et, enfin, Tunisie.
Dingue? Pas tant que ça pour cet Anglais de 27 ans originaire du West Sussex, qui cultive sa barbe rousse et sa passion pour l'extrême. Après avoir été initié au semi-marathon de Brighton quand il avait 21 ans, Russ est devenu guide de course d'aventure pour un organisme de charité.
Et il a tout essayé: se faire enterrer vivant et privé de nourriture pendant 168 heures, courir un marathon harnaché à une voiture (si si) ou encore rallier en courant l'Asie à Londres, en solo et sans aide - soit 71 marathons à travers 11 pays, le tout en 66 jours. Il semble loin le temps où cet ancien «fat boy», comme il se décrit, souffrait de problèmes de santé mentale, de jeu et d'alcool.
Rien ne semble insurmontable, donc, pour ce «Viking» en soif de conquête sportive. Le 22 avril 2023, Russ Cook s'élance de la pointe de l'Afrique du Sud, le cap Agulhas. Les premiers jours et les premiers kilomètres sont avalés facilement, à une cadence de 60 bornes par jour. «Des jours plus difficiles restent à venir, bien sûr, et ils seront les plus difficiles que j'aie jamais affrontés, sans doute. Je suis prêt à les attaquer», admet-il sur les réseaux sociaux, où il chronique son périple au jour le jour à ses centaines de milliers d'abonnés sous le pseudo Hardest Geezer («Le mec plus dur»).
Russ ne croyait pas si bien dire. Le 14e jour, il écrit:
A la fatigue de s'enfiler plus d'un marathon quotidien s'ajoutent bientôt des pépins sanitaires. Le 26e jour, après une nuit passée à rêver de «wraps au canard de chez Tesco» et s'être réveillé au milieu de la Namibie avec encore «13'7000 kilomètres à parcourir»... Ce qui devait arriver, arriva: l'intoxication alimentaire.
Quatre carrés de chocolat et quelques gorgées de jus d'orange plus tard, l'ultra-marathonien se force à continuer. Pas d'excuses. «J'ai couru 5 km. J'ai encore vomi. J'ai commencé à marcher à la place. Aller de l'avant à tout prix. J'ai parcouru 21,1 km avec des crampes dans les deux jambes à la fin», raconte-t-il exténué, le soir-même.
Deux semaines plus tard, au 45e jour, Russ Cook est contraint de prendre son premier jour de repos, sur conseil de ses médecins, après avoir trouvé du sang dans ses urines pendant quatre jours consécutifs. Il reprend des forces avec un safari autour de la réserve de Gondwana.
D'autres dangers ponctuent le chemin de forêts tropicales, crêtes de montagnes et plaines arides. Des dangers humains, ceux-ci. Menaces de mort et tentatives d'enlèvement troublent la course de l'athlète à plusieurs reprises.
C'est le cas lorsque, au cours du 102e jour, au milieu de la République démocratique du Congo, Russ Cook se retrouve momentanément séparé du van de son équipe, coincé dans une impasse. En essayant de retrouver ses amis sur la route du plan B, une bande de types armées de machettes l'arrête dans un village rural. Le chef du village lui réclame une rançon. Tout ce que Russ Cook trouve à lui offrir est «un biscuit à moitié mangé» dans un sac à dos presque vide. «Dans ma tête, je me suis dit: ça y'est. Moi, le mec le plus dur autoproclamé, je suis sur le point d’être détenu dans un goulag du Congo avant d’être déchiqueté membre par membre, et mangé.»
Au terme d'âpres négociations avec ses ravisseurs, Russ Cook finit par être libéré et autorisé à reprendre sa course. Un pied de nez à ses proches qui s'attendent à le voir sauter dans le premier vol de retour. Le marathonien retourne à son point de départ ce jour-là et avale les 60 km que prévoit son nouvel itinéraire.
Une autre menace, plus concrète encore, plane sur la tête du coureur chevronné: la blessure. Le 208e jour et les précédents sont marqués par des problèmes de dos presque paralysants. «Très douloureux», résume l'ultra-marathonien, forcé de baisser la cadence. «Ne reste qu'à réduire le kilométrage et l'intensité, arrêter de minauder comme une petite fouine, prendre les analgésiques les plus puissants disponibles et reprendre la route en mode zombie.»
Et ce serait oublier les imprévus administratifs. Au jour 279, le voilà presque contraint d'abandonner le défi, faute de visa pour passer de la Mauritanie à l'Algérie. Son appel au secours, une vidéo sur X est visionnée par 11 millions d'internautes - dont l'ambassade d'Algérie au Royaume-Uni. Aussitôt dit, aussitôt fait: l'équipe obtient un visa de courtoisie pour achever son périple.
Enfin, que serait une course de plusieurs milliers de kilomètres sans la cerise sur le gâteau? A savoir... le Sahara, que Russ Cook atteint au bout du 305e jour. ‹Deux semaines de folie. Les conditions les plus difficiles de la mission. Des tempêtes de sable si fortes qu'elles donnent l'impression que la plus petite avancée est capitale›, décrit-il à ses abonnées. Du sable à perte de vue. Pas de route ni de signal, si bien qu'il faut naviguer en ligne droite, presque au hasard. Mais il s'accroche
Ce 7 avril, il est environ 10 heures du matin, lorsque Russ s'élance d'une station-essence de Ghezala, au nord-ouest de la Tunisie, pour les ultimes kilomètres de son odyssée. Direction Ras Angela, le point le plus au nord du pays, qu'il atteint dimanche après-midi en présence des médias et de plusieurs dizaines de fans. Peu de temps après avoir admis qu'il était «un peu fatigué», quelqu'un lui suggère: «Allons te chercher un daiquiri, mec.» Le coureur répond: «Oui, allons-y.»
Il n'a pas encore trempé les lèvres dans son cocktail que le record du monde de Russ Cook est déjà remis en question. Selon la World Runners Association (WRA), petite association composée de sept membres, le Britannique ne serait pas pas le premier homme à parcourir l'Afrique dans toute sa longueur, contrairement à ses affirmations. L'exploit aurait déjà été réalisé par l'athlète danois Jesper Olsen, en 2010, qui a rallié la ville de Taba en Egypte, au Cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud, en 434 jours.
«Russ Cook ne peut pas dire qu’il est le premier à parcourir toute l’Afrique», objecte ce dimanche Marie Leautey, membre de la WRA, au Daily Telegraph. «Nous félicitons vraiment Russ, nous ne voulons tout simplement pas que la réussite de Jesper soit niée.» Ce à quoi d'aucuns ont répliqué que le Britannique, contrairement au Danois, a choisi un itinéraire plus long, qui l'a mené du point le plus méridional de l'Afrique au point le plus septentrional de l’Afrique, en longeant la côte ouest.
En attendant que le Guinness World Records mette les choses au clair et décerne ses médailles, l'athlète de l'extrême a célébré la fin de son challenge lors d'une fête endiablée ce dimanche dans un hôtel de Bizerte, en Tunisie, incluant une performance du groupe de rock Soft Play.
Et si vous vous demandiez à quoi toute cette souffrance a bien pu servir, sachez que son initiative, baptisée «Project Africa», a permis de soulever pas moins de 800 000 livres sterling pour deux organisations caritatives. Record mondial ou pas, cet acharnement valait bien de siroter un Daïqiri sur un trône blanc et doré, aux côtés de sa petite amie. Et de s'enfiler ensuite tous les wraps au canard de Tesco du monde.