Le Championnat d'Espagne d'échecs par équipes a tourné court pour le grand maître Kirill Shevchenko, joueur ukrainien naturalisé roumain, membre de l'équipe valencienne Silla-Integrant Col.lectius. Sa partie nulle contre Bassem Amin et sa victoire face à Francisco Vallejo ont été considérées comme perdues et il a été exclu de l'événement, organisé dans l'enclave de Melilla en Afrique du nord jusqu'au 18 octobre.
La Fédération espagnole des échecs (FEDA) a expliqué dans un communiqué qu'elle soupçonnait Shevchenko de tricherie et a ajouté qu'elle regrettait ce qu'il s'est produit à Melilla. «La FEDA s'engage à lutter contre la triche et réagit avec la plus grande fermenté aux cas détectés. Nous regrettons profondément que ces événements se soient produits», a-t-elle écrit.
Ce sont les adversaires de Kirill Shevchenko qui ont donné l'alerte, surpris de voir le joueur fuir très régulièrement l'échiquier. Le Roumain a justifié ses va-et-vient par un problème médical auprès des officiels. Or il n'a pas jugé bon de demander une autorisation avant chaque visite aux toilettes, malgré le rappel de l'arbitre.
Son comportement suspect a obligé les juges à le surveiller de près et un téléphone portable a été retrouvé dans la cabine dans laquelle il s'est rendu à plusieurs reprises. Il était écrit dessus, en espagnol: «Ne touchez pas! Ce téléphone a été laissé ici pour que son propriétaire puisse l'utiliser la nuit». Un agent d'entretien avait repéré la veille un smartphone similaire au même endroit.
La cabine a été fermée à clé et les allées et venues de Kirill Shevchenko ont continué. Il patientait devant celle-ci, alors que d'autres étaient disponibles, selon plusieurs membres du comité d'organisation. Une fois la ronde terminée, le message accolé au smartphone a été comparé aux notes du joueur, et des similitudes dans l'encre et l'écriture ont été observées. Le téléphone affichait enfin une heure différente de celle du lieu de compétition. Elle correspondait au fuseau de la Roumanie, soit une heure de plus qu'en Espagne et deux par rapport au Maroc voisin.
Confronté, Shevchenko a nié les accusations et a depuis martelé dans les médias espagnols qu'il n'avait pas triché. Or face à ces éléments, les organisateurs n'ont pas eu d'autre choix que de l'exclure de la compétition. La réclamation de son équipe n'a pas abouti et le Roumain a restitué au club les frais reçus pour sa participation.
Etre écarté du tournoi ne signifie toutefois pas être coupable. L'affaire est désormais entre les mains de la Fédération internationale des échecs (FIDE) et ce sera à elle d'enquêter puis de se prononcer. «Outre les sanctions établies, en respectant le droit de défense et d'appel du joueur, la FEDA va transmettre un rapport à la Commission d'éthique de la Fédération internationale des échecs», a écrit l'instance espagnole dans son communiqué.
Ce n'est pas la première fois qu'une telle histoire ébranle le monde des échecs. Le téléphone portable aux toilettes est même devenu un grand classique ces dernières années. En 2019, le grand maître Igor Rausis avait été surpris en train de l'utiliser lors d'une pause pipi, en tournoi à Strasbourg. Il avait écopé d'une suspension de six ans. Le Géorgien Gaioz Nigalidze s'était également fait prendre par la patrouille dans un contexte similaire, à Dubai en 2015.
Kirill Shevchenko risque donc très gros. Son éviction serait un séisme, car jamais un échéquiste de cette classe a commis de tels actes. S'il figure aujourd'hui à la 69e place, Shevchenko a atteint l'an passé le 39e rang mondial et a affronté récemment les meilleurs de sa discipline, dont Magnus Carlsen. Le jeune homme de 22 ans est également considéré comme l'un des joueurs les plus prometteurs. Un verdict en sa défaveur viendrait confirmer cette idée qu'aux échecs, les ordinateurs ont transformé la pratique. «Pour gagner, la priorité absolue ne serait plus de savoir analyser la répartition des pièces sur l'échiquier, mais de savoir mémoriser de grandes quantités de combinaisons», constatait le magazine Slate lors d'un précédent scandale de tricherie.