Lorsque Sandro Tonali a passé sa visite médicale, l'été dernier à Newcastle, son nouveau club n'a pas trouvé le moindre problème et a donc décidé de recruter la star italienne pour 70 millions d'euros environ. Ce que l'équipe anglaise ne savait pas, c'est que Tonali souffrait d'un mal silencieux et sournois qui menace aujourd'hui sa carrière: la ludopathie. Il s'agit d'une «dépendance pathologique aux jeux, en particulier aux jeux de hasard ou d’argent», résume le dictionnaire en ligne de la langue française.
L'international de 23 ans a reconnu son addiction. Lui et Nicolo Zaniolo ont été exclus de l'équipe d'Italie la semaine dernière en raison des soupçons de paris illégaux qui pèsent sur leurs épaules. Le contexte est brûlant puisqu'un autre joueur transalpin (Nicolo Fagioli) a écopé de sept mois de suspension de toute activité sportive pour s'être livré à des paris sur des matchs de foot, une activité interdite aux joueurs professionnels. Fagioli a raconté aux médias comment, au fil des mois, il a accumulé une dette de 3 millions d'euros. Le Corriere della Sera redoute désormais qu'un «tsunami» s'abatte sur le football italien et qu'une dizaine d'autres professionnels soient poursuivis pour avoir parié en douce.
On pourrait trouver étonnant que des athlètes de haut niveau qui gagnent des millions se risquent aux jeux. Mais «les ludopathes ne jouent pas seulement par appât du gain, prévient Lorenzo Castelli, psychologue et psychothérapeute expert en jeux de hasard, interrogé par La Gazzetta dello Sport. Il peut s'agir de rechercher des sensations fortes: le pari, l'attente, la gratification du gain, qui peut être immédiate.»
Parmi les moteurs de l'addiction, le spécialiste cite aussi ce qu'il appelle la «chasse à la perte».
Les sportifs de haut niveau ne sont pas différents de leurs congénères: eux non plus n'aiment pas perdre. C'est même inscrit dans leurs gènes, puisqu'ils apprennent très tôt à honnir la défaite, parfois à n'importe quel prix (celui du dopage par exemple). Certains d'entre eux disent souvent se réjouir du fait que la prochaine compétition arrivera bientôt, ce qui leur permettra de ne pas trop gamberger après un revers. Avec les paris sportifs, même pas besoin d'attendre: on peut jouer quand on veut, même la nuit. Effacer une défaite douloureuse prend trois minutes, contre trois jours dans la vraie vie.
À condition bien sûr d'avoir du temps, mais les athlètes de haut niveau n'en manquent pas. Les entraînements physiques (en salle de force ou sur le terrain) ne durent jamais plus que quelques heures par jour. Le reste de la journée est dévolu aux soins et à la récupération, ce qui laisse du temps pour autre chose, surtout lorsqu'on est souvent en déplacement, seul dans sa chambre d'hôtel. Dans le cas de Tonali, la presse italienne, revenant sur ses mises, évoquait récemment «une tentation à laquelle on succombe par ennui, dans les moments de solitude».
On ne sait pas si Neymar était plus heureux que Lionel Messi à Paris. Ce qui est certain, c'est que de nombreux athlètes souffrent en silence lorsque les projecteurs s'éteignent. Selon une enquête en 2020 du comité Éthique et Sport sur la santé mentale de plus de 1200 sportifs (de 15 à 40 ans), dont 28% de sportifs de haut niveau, 80% d'entre eux ont déjà ressenti de la tristesse, un manque de confiance, de force ou d'énergie. Or la littérature médicale sur les parieurs évoque des personnalités «qui ont une fragilité dans leur histoire, dans leur parcours de vie», rappelle le Dr. Lorenzo Castelli.
Dans ce contexte de vulnérabilité, le jeu s'apparente à une «recherche de quelque chose, même au niveau chimique, physiologique, que le parieur ne peut pas obtenir d'une autre manière», en conclut le psychologue et psychothérapeute dans La Gazzetta dello Sport.
Même quand on a fait une jolie carrière de footballeur entre Rennes et Lyon, comme Gaël Danic. Il semble que le milieu offensif n'a jamais trouvé ailleurs les sensations que les paris sportifs lui procuraient. Quand ce jeune retraité du ballon rond n'a plus pu miser sur des matchs de football en raison de son métier, il a trouvé ça «tellement dur» qu'il a investi une partie de ses revenus «dans le billard ou les fléchettes», a-t-il avoué au site Football365.fr.
L'histoire est riche en exemples d'athlètes adeptes des jeux d'argent et de hasard. Celle-ci n'épargne ni les grands noms du sport, ni les grands championnats. En NBA, Shaquille O'Neal a souvent raconté, non sans une certaine fierté, la fois où il a misé un million sur un simple coup de dés, tandis que les habitudes de Michael Jordan au casino sont de notoriété publique.
Parfois, les mises peuvent rapporter gros, et le boxeur Floyd Mayweather a rarement manqué une occasion de faire savoir à sa communauté quand il touchait le pactole, sans que l'on sache ce qu'il lui en a coûté pour en arriver là.
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D'autres fois, les pertes s'accumulent et fragilisent les stars. Le champion de hockey Jaromi Jagr a dû se battre pour rembourser ses dettes de jeu, le golfeur John Daly a admis publiquement avoir perdu 60 millions au cours de sa vie tandis que Wayne Rooney accusait 700'000 livres d'arriérés en 2006 selon les tabloïds anglais.
La multiplication des tragédies personnelles semble accompagner l'augmentation croissante des mises à travers le monde, et notamment en Suisse.
Le GREA évoque une «inquiétante dérive des jeux en ligne» et tire la sonnette d'alarme. Il n'est pas le premier, ni le seul. En 2015 déjà, l'ex-footballeur international anglais Tony Adams estimait que les paris avaient «remplacé l'alcool comme danger principal chez les footballeurs professionnels anglais». Adams, fondateur de la clinique Sporting Chance, avait pu constater l'emprise du jeu dans les couloirs de son établissement de santé. «Je pense que 70% de nos patients sont accros aux paris», estimait-il.
Sandro Tonali et Nicolo Fagioli espèrent ne jamais en arriver au point où seule une hospitalisation les extirpera des griffes de l'addiction. Le premier a déjà pris rendez-vous avec un psychiatre réputé; le second a accepté de participer à des réunions publiques dans les centres de désintoxication pour les addictions au jeu. Se soigner puis transmettre est désormais le nouveau combat de Nicolo Fagioli, l'espoir du football italien qui, à 22 ans, rêvait d'autres victoires.