Le virage Auteuil sera fermé provisoirement après que dimanche dernier, une mouvance ultras du PSG, non contente de souffler ses trente bougies, y ait ajouté 531 fumigènes.
Pareil (ou presque) à Lausanne, toujours dimanche dernier, où l'arbitre a interrompu le derby lémanique à deux reprises, tandis que des fans de Servette mettaient le feu au Lac de Genève, pour reprendre l'idée générale.
La législation suisse est claire: les engins pyrotechniques de type professionnels (tout ce qui n'est pas Vésuves, allumettes de Bengale et autres étincelles) requièrent «un permis d’acquisition» et «une autorisation de mise à feu». Ils sont interdits dans les stades.
Mais chez les mouvements ultras, les mesures coercitives n'ont d'autre destin que d'augmenter le plaisir de les enfreindre. A fortiori dans ce cas précis: les engins pyrotechniques sont achetés illégalement auprès de fournisseurs, puis entrent clandestinement avec des passeurs, en bénéficiant de complicités et en évitant les infiltrés – Escobar n'était qu'un bagagiste.
Les moyens de franchir les contrôles au stade ne manquent pas de créativité. Trois ultras – en activité ou repentis – nous ont aidés à les recenser.
C'est toute la limite de l'exercice, pour les clubs et la répression des fraudes: une fouille corporelle intime n'est possible qu'avec l’autorisation d’un juge, et par un policier du même sexe. Or à l'entrée des stades, les contrôles sont la responsabilité des sécurités privées. «Il est facile de cacher un fumigène de quinze centimètres dans un slip, au niveau de l'aine, dans la raie des fesses ou en faisant croire à un pénis, au risque d'être sous-estimé», crâne un supporter.
Christian Constantin avait constaté avec effroi que de jeunes femmes servaient de mules et cachaient du matériel «dans leur minou» (sic). Confirmation au FC Zurich où une supportrice a été hospitalisée en urgence pour l'ablation d'un fumigène dans son appareil génital, après un malaise au stade. Selon les usages, l'engin est emballé dans un préservatif.
Un ex-ultra particulièrement flegmatique et instruit raconte avec délectation: «J'enfonçais le fumigène dans le pain et je laissais dépasser la salade pour camoufler les bords. Puis j'emballais le sandwich dans du cellophane, pour donner l’illusion de la transparence. On en préparait des dizaines chez ma grand-mère, qui était tout inquiète et excitée».
«Les enfants sont rarement fouillés», témoigne un ultra romand qui, un tantinet contrit, avoue avoir dissimulé des torches dans «le sac à dos du petit», 11 ans. Un autre a choisi «le paquet de pop-corn» qu'il avait acheté devant le stade, un autre encore «le mât du drapeau suisse que mon neveu emmenait partout avec lui».
Des fans du FC Saint-Gall ont été interceptés à 4 heures du matin dans l'enceinte de Tourbillon, alors qu'ils entraient par effraction. Cette intervention surprise, à cinq jours d'un match contre le FC Sion, a permis la saisie record de vingt kilos d'engins pyrotechniques.
Nullement découragés, les Saint-Gallois sont revenus la veille d'un autre match, déguisés en ouvriers, pour poser une fausse conduite dans les toilettes, plus exactement un tuyau suspendu au plafond dans lequel ils ont stocké du matériel.
Il n'est pas rare que les ultras aient des relais sur place (voirie, catering) ou soient simplement autorisés à installer leurs tifos durant la semaine, ce qui leur permet de «scotcher discrètement des torches sous les sièges».
Les fumigènes appartiennent à la pop culture du football de clubs, dont ils portent haut les extases et les couleurs. La répression, en cela, est un échec, car elle procède d'une double hypocrisie: l'impossibilité légale de la mener réellement, avec des fouilles au corps complètes, et la volonté inégale d'aboutir absolument, sachant qu'au-delà des volutes puantes et aveuglantes, les torches expriment un genre de feu sacré dont le football a besoin, et que le monde dit civilisé, des médias mainstream aux tribunes principales, regarde souvent avec des yeux éblouis – pour autant que ça ne pique pas trop.
Quiconque est en possession d'engins pyrotechniques à l'entrée d'un stade encourt une peine sévère. Le Tribunal fédéral (TF) a confirmé la condamnation de deux hooligans du FC Bâle à 60 jours amendes avec sursis pour tentative d'infraction à la loi sur les explosifs. A Bellinzone, le Tribunal pénal fédéral a condamné un supporter à trois ans d'emprisonnement – dont la moitié ferme – pour avoir jeté des pétards sur la pelouse, en plein match, en février 2016.
Une fois dégoupillée, la torche ne peut plus être éteinte manuellement. Il faut recourir à un bidon d'eau ou de sable. La chaleur peut atteindre 1500°C et entraîner des brûlures graves. Sans oublier la déflagration pour les engins de type explosif: un supporter du FC Thoune souffre de troubles auditifs à vie.
Les risques commencent avec l'importation illégale, sans permis d'acquisition, de toute forme d'engins pyrotechniques, peu importe qu'ils soient commandés sur internet, achetés à l'Est, dans des filières spécialisées, ou à des marins bretons, parmi les stocks de torches périmées. C'est dire si, avec 531 fumigènes craqués en un seul soir, le virage d'Auteuil connaît beaucoup de monde, sans doute beaucoup de marins et de grands-mères.