Le FC Winterthour a terminé en tête d'une Challenge League complètement dingue samedi. Il a profité de sa victoire (5-0) à Kriens et de la défaite d'Aarau contre Vaduz (1-2) pour fêter son ascension dans l'élite au bout du suspense.
Pour Winterthour, une promotion signifie un retour dans l'élite du football suisse, un événement attendu depuis plus de 37 ans. Historiquement, le club zurichois a remporté trois championnats (d'avant-guerre certes, mais trois championnats quand même en 1906, 1908 et 1917) et deux Coupes de Suisse (1968 et 1975). Le retour au sommet des «Lions» apportera un vent de fraîcheur à la Super League, sportivement comme culturellement. Le FC Winterthour est, en effet, un club particulier, ancré dans sa communauté avec une dimension culturelle et sociale inédite en Suisse. Entre kop pour enfants, galerie d'art et lutte anti-raciste, immersion dans l'univers de la «Schützenwiese».
Le club est fondé en 1896, ce qui en fait l'un des plus anciens de Suisse. Il vit sa meilleure période dans ses premières années, au début du 20e siècle. Il jongle ensuite entre la LNA et la LNB jusqu'à une nouvelle période faste dans les années 60-70 qui débouche sur une autre ère, plus typée culturellement. Silvan Kämpfen, journaliste pour le magazine Zwölf en Suisse-alémanique, raconte:
Sportivement, le club évoluait depuis 1985 en LNB. Il se distingue en dehors du terrain par des engagements forts, inscrits dans une charte sociale:
Aujourd'hui, le club a retrouvé de l'ambition sportive. Une ambition qui a parfois manqué par le passé, comme le racontait Silvan Kämpfen avant la promotion: «Certains supporters se retrouvent devant un dilemme avec, d'un côté, cette culture et cette fierté de l'image du club perdant/différent, et de l'autre, l'envie de remonter en Super League. Dans le passé, les valeurs du club avaient parfois été un frein au sportif. J'ai l'exemple de Patrick Bengondo, l'attaquant camerounais chouchou du public. À la fin de sa carrière, alors qu'il était déjà très âgé, les dirigeants ne l'avaient pas prolongé, ce qui avait provoqué des tensions avec les supporters qui voulaient le garder malgré son manque de compétitivité.»
Cette image de club alternatif, Winterthour la nourrit en organisant des matchs amicaux contre des adversaires qui luttent également pour un football plus équitable. A plusieurs reprises, les Zurichois ont accueilli le grand-frère, le FC St. Pauli, référence mondiale du militantisme par le football. Le FC Winterthour est même parfois appelé le «St. Pauli de Suisse». Des écharpes du club allemand trônent au «Libero Bar». «Winthi» utilise la même musique d'échauffement que St.Pauli: «Hells Bells» d'AC/DC.
Le club de Hambourg est une source d'inspiration pour les Zurichois, qui ont également accueilli en 2016 le FC United of Manchester, club anglais dissident fondé par des fans déçus de Manchester United et son approche ultra mercantile. Les Britanniques évoluaient à l'époque en sixième division, et le match amical avait plus une valeur militante que sportive.
Pour letemps.ch, Andreas Mösli avait expliqué ce qui rassemblait ces trois clubs:
Il enchaînait alors en expliquant son approche, un ovni dans le football moderne: «Notre volonté, c’est de mettre la culture football en avant par rapport à sa dimension commerciale. Avant de prendre une décision, on se demande uniquement si elle sera profitable aux spectateurs. C’est central.»
FC United of Manchester v FC Winterthur - Photos 13/07/18https://t.co/XAJQ65eXdM@FCUnitedMcr pic.twitter.com/fhSlBJafy9
— Mark Lee (@MarkLee1066) July 14, 2018
Le dirigeant avait parfaitement résumé son club et son stade en affirmant qu'ils «étaient la plus grande auberge de jeunesse de Suisse». Un lieu de rencontre sans barrière, où le football joue un rôle de rassembleur.
Pour retrouver cette atmosphère particulière, il faut se rendre à la «Schützi», le fameux stade du FC Winterthour. Un endroit unique en Suisse où football, art et culture s'entrecroisent.
On peut, par exemple, visiter une galerie d'art, le Salon Erika. Ouverte au public et aux artistes pendant les matchs, la galerie se présente ainsi sur son site: «La rencontre entre l'art et le football se fait de manière ludique et se termine par un verre de Prosecco.» Un verre qui peut s'apprécier en admirant une représentation de...Youri Gagarine, premier astronaute soviétique à être allé dans l'espace et icône de la culture populaire soviétique. Un autre symbole de démarcation, de contre-culture.
Après le verre de Prosecco, direction la «Sirupkurve» pour les plus petits et la «Beerkurve» pour les plus grands. Dans la première, les enfants encouragent leur équipe favorite à grandes rasades de sirop gratuit. Chez les plus grands, le sirop doit se consommer avec modération. Il n'est pas gratuit, mais les supporters du club ont un rituel qui les démarquent encore une fois des autres: à la fin du match, ils jettent sur la pelouse les gobelets consignés en guise de don pour le secteur formation. Un noble geste que la promotion en Super League pourrait mettre en danger. Silvan Kämpfen:
La promotion entraînera forcément des aménagements. Interrogé récemment par «nau.ch», Andreas Mösli a affirmé vouloir garder le folklore actuel tout en l'adaptant aux exigences de la Super League: «La «Sirupkurve» resterait en place même en Super League, c'est une chose formidable et unique. Comme le stade devrait être divisé en quatre secteurs fermés, nous devons encore réfléchir à l'endroit le plus judicieux pour la placer.»
Une crainte qui symbolise le virage dans lequel se situe actuellement le club zurichois, entre ambitions retrouvées et volonté de garder des valeurs anciennes, traditionnelles et militantes.
Adaptation d'un texte paru le 25 avril 2022 sur watson.