Inutile de chercher «Alpha 3» au gigantesque bivouac itinérant du Dakar, qui rassemble près de 3500 personnes chaque soir d'étape du célèbre rallye-raid. Ce groupe de 16 «équipiers» avance à l'écart du cœur battant de la course, presque en autarcie.
En ce matin de 7e étape, l'équipe a planté camp au milieu d'une immense étendue aride, plate sur des dizaines de kilomètres à la ronde. A l'horizon se distinguent des silhouettes de montagnes rocheuses.
Sous une tente protégée du vent par ses deux bus garés en V, du café coule dans des gobelets en carton empoussiérés de sable. Un trio de volontaires revient de son jogging matinal avant l'arrivée des 300 autos et motos lancés sur le parcours du jour. «Il faut être un peu rustique, ne pas trop regarder au confort», confie leur chef Arnaud Gibus, qui travaille au civil comme responsable de logistique événementielle dans la musique. «Il faut aimer vivre dehors, c'est de la vie en extérieur tout le temps.»
Parmi la myriade de groupes d'équipiers au Dakar, les «Alpha 3» ont la responsabilité de gérer les arrivées de spéciales du Dakar, la section chronométrée de chaque étape: installer la signalétique et les panneaux publicitaires, noter les heures de passage, établir la liaison satellitaire, assurer la sécurité, etc.
Roulant de nuit, l'équipe s'installe chaque matin dans le désert à l'endroit désigné pour l'arrivée de la spéciale. Elle y reste à accueillir les concurrents jusqu'à tard dans la nuit. Puis elle reprend aussitôt la route pour être à son point suivant le lendemain matin, et ce sur douze étapes.
Dans le bus, les couchettes où dorment les volontaires pendant le trajet ne sont guère plus grandes qu'un cercueil. Chaque centimètre carré de cet espace restreint demande une organisation précieuse pour l'harmonie et le bon déroulement de la vie en communauté. "Ça peut paraître déroutant mais on s'y fait très vite", affirme Harry Dijoux, 50 ans, ajusteur-monteur dans l'aéronautique.
Ici la douche se prend au grand air dans une simple tente avec une bonbonne d'eau réchauffée à la bouilloire ou au soleil. Voire dans les toilettes du bus, s'il fait trop froid et qu'il faut avaler de la route. «Tu cherches tes points d'appuis, tu cherches à te caler, tout ça pendant que tu te douches. L'autre il met un coup de frein, tu te prends le mur!», se marre le chronométreur Jean-François Leost, développeur informatique chez Airbus Hélicoptères le reste de l'année.
Les «Alpha 3» sont le premier contact humain pour des coureurs qui sortent lessivés de centaines de kilomètres de dunes, roches, pistes avalées à toute vitesse, moteur rugissant. «Le gars il en a chié, moralement il n'est pas forcément bien. Et puis il arrive là, il peut échanger un peu avec nous pour nous raconter. On va le mettre confort, lui offrir un petit plat chaud, un petit Cola, une petite écoute», raconte Arnaud Gibus, 38 ans.
«Alpha», «India», «Charly», «Fox»... Derrière ces codes militaires se cache une multitude d'unités d'équipiers du Dakar qui ont la charge d'assurer le bon déroulement de la course dans le désert (sécurité aux carrefours, check-points, ravitaillement, etc.), invisibles à la télé.
Parmi ces hommes - pour l'immense majorité -, de tous milieux sociaux, certains viennent y chercher une évasion de leur quotidien en France. D'autres, mordus de sports mécaniques, n'ont pas le niveau technique ou l'aisance financière pour débourser les dizaines, voire centaines de milliers d'euros nécessaires à la participation à un Dakar. Et vivent ainsi leur passion par procuration.