Nicolas Lindt est informaticien, et même s'il ne l'avoue pas, on imagine que c'était un peu pénible et embarrassant, pour un esprit scientifique comme lui, de devoir se baigner avec un thermomètre chaque hiver afin de relever la température exacte du Léman. Il a donc cherché sur le Net un moyen moins artisanal de connaître les variations du lac et l'a trouvé sur un site (meteolakes.ch) développé par un doctorant de l'EPFL (Theo Baracchini). Mais il y avait encore du boulot.
Le talent de Nicolas Lindt, c'est d'avoir créé un algorithme traduisant les données de Meteolakes en langage grand public. En d'autres termes: transformant presque en temps réel les chiffres du scientifique en données visibles et compréhensibles pour tout le monde. Et d'abord pour lui.
Car son nouvel outil, le résident de Belmont-sur-Lausanne a commencé par l'utiliser pour ses sorties hebdomadaires à Lutry. Et il ressemblait à ça:
«J'avais automatisé l'exploitation des données de l'EPFL pour un seul lieu et une seule personne: moi», se souvient Nicolas, dont la trouvaille ne tarde pas à le rendre très populaire à Lutry. «Les baigneurs m'ont demandé s'il n'était pas possible d'obtenir ce type de données pour d'autres plages du Léman.» Comme c'est possible, cet employé d'une société de sécurité informatique, qui adore l'eau et les gens (il est aussi pompier volontaire), se lance dans la création d'un site au contenu fourni, permettant de connaître la température du lac sur d'autres communes.
Il ajoute un nouveau lieu de calcul, puis un autre, puis 5, 10, 20 et bientôt 53. «Je crois qu'il ne manque plus aucune commune côté suisse», se félicite-t-il, précisant qu'il a aussi mis à disposition les valeurs d'Evian et Thonon ainsi que de six villages français, «parce que des baigneurs me les ont demandées».
Son site (lake.lindt.one) ne ressemble désormais plus aux quelques lignes austères du début. En cliquant sur la plage de son choix (une par commune), l'utilisateur y trouve successivement:
Une véritable bible pour les givrés du Léman, une communauté dans laquelle Nicolas baigne depuis 2018. «Je ressens les effets positifs du froid depuis le premier jour. Je n'ai pas eu le moindre rhume, ni le moindre Covid!»
Ce bien-être, le Vaudois le doit aussi à sa pratique régulière et consciencieuse. «Il est déterminant de connaître la température de l'eau afin de ne pas s'immerger trop longtemps. Pour un débutant, il est recommandé de se limiter à une minute de baignade par degré», renseigne-t-il.
Puisque relever la température à la surface ne permettrait pas de se faire une juste idée du ressenti du nageur, Nicolas Lindt a décidé de cibler la mesure à 60 cm sous l'eau, «une distance jusqu'à laquelle tous les organes vitaux sont immergés».
Les chiffres qu'il obtient et fournit aux fidèles de son site ne sont bien sûr pas des points de mesure réels (il n'y a pas de thermomètre à 60 cm sur toute la côte lémanique), mais des prédictions issues d'un modèle mathématique.
Ces nageurs suréquipés ont pu confronter leurs résultats à ceux de Nicolas grâce aux QR Codes que ce dernier a placé sur le littoral helvète. «Ma compagne et moi avons sillonné toutes les plages, du Bouveret à Versoix, afin de poser des affichettes aux endroits où les gens peuvent entrer dans l'eau. En scannant le QR Code, ils arrivent directement sur la page de mon site qui donne la température de l'eau à cet endroit.»
Nicolas a toujours pris soin de poser ses affichettes dans des endroits publics et de les fixer avec du matériel qui ne laisse pas de traces, préférant les attaches de câbles au scotch. Comme il est plutôt du genre perfectionniste, il a aussi arrondi les angles au coupe-ongle afin que les baigneurs ne se blessent pas en manipulant les panneaux.
Des baigneurs auxquels il propose d'imprimer puis d'afficher eux-mêmes les QR Codes. Tous sont disponibles sur son site et munis d'une marche à suivre pour l'installation.
Grâce à la qualité de son travail et de sa communication sur les réseaux sociaux, sa fanbase s'est élargie. Son site existe depuis trois ans mais il est déjà un outil de référence.
Nicolas Lindt a fait tout ça surtout pour les autres, parce que son endroit à lui, la plage qu'il préfère à toutes les autres, c'est celle de Lutry où, chaque dimanche d'hiver, entre 17h10 et le coucher du soleil, il nage dans le bonheur.
Cet article est adapté d'une première version publiée en octobre 2021