Marco Odermatt a remporté la plus belle 2e place de la saison, samedi à Hafjell (Norvège), puisque ce résultat en géant lui a permis de s'assurer un quatrième gros globe successif, récompensant le vainqueur du classement général de la Coupe du monde. Comme à chaque fois qu'un champion de son sport remporte un trophée prestigieux, les journalistes ont ensuite situé la performance du lauréat dans l'histoire et constaté, cette fois, que Marco Odermatt était à mi-chemin d'une marque que tout le monde croyait jusqu'ici impossible à atteindre.
Mais Kristian Ghedina le dit lui-même: «Je ne crois pas aux missions impossibles». Dans une colonne parue dimanche dans La Gazzetta dello Sport, l'ancien skieur italien rappelait que «le record de 86 succès en Coupe du monde d'Ingemar Stenmark semblait lui aussi impensable à battre» avant que Mikaela Shiffrin (100 victoires) ne privatise la plus haute marche du podium. La question est désormais de savoir si «Odi» atteindra un jour le record des huit gros globes remportés par Marcel Hirscher entre 2012 et 2019.
Ghedina y croit et il n'est pas le seul. «Si le record de huit gros globes d'Hirscher est encore loin, il ne semble pas hors de portée pour le Suisse de 27 ans, tant sa domination sur le ski alpin, favorisée par sa capacité à gagner dans trois des quatre disciplines de la Coupe du monde, semble sans partage depuis plusieurs saisons», relevait Eurosport ce week-end.
La polyvalence est le premier argument en faveur du Nidwaldien. Alors que Marcel Hirscher régnait en maître sur les disciplines techniques, «Odi» est le seul skieur de l'ère moderne capable d'exceller en vitesse (descente et super-G) autant qu'en géant, à tel point qu'il peut rêver de remporter les petits globes dans les trois disciplines cette saison. Il possède déjà ceux de géant et de super-G, et visera celui de la descente lors des finales de Sun Valley qui débutent samedi.
Etre capable de prendre des points dans trois épreuves est une chance quand on joue le classement général, mais deux doutes vont escorter Odermatt à l'avenir. Le premier concerne le programme du Nidwaldien: chassera-t-il encore les points sur trois tableaux dans le futur? Ce n'est pas sûr du tout. On sait que Marco Odermatt jouera sur les trois tableaux (descente, super-G et géant) jusqu'en 2027 et les Mondiaux de Crans-Montana, mais aussi qu'il pourrait envisager de se concentrer ensuite uniquement sur les épreuves de vitesse. Une décision qui ferait sens.
L'autre doute, pour la suite, concerne sa capacité à rester en condition, car un skieur prend plus de risques en dévalant des pentes à 150 km/h en descente comme «Oderminator» qu'en disputant les disciplines techniques.
Depuis son avènement au sommet, le Suisse n'a jamais connu de blessure grave, mais cela ne signifie pas non plus qu'il en est à l'abri. Il a d'ailleurs frôlé le pire cette saison à Bormio, se rattrapant dans la traverse grâce à un réflexe remarquable (c'est aussi à ce genre de réactions que l'on reconnaît les grands champions).
«Je suis soulagé de ne pas m'être gravement blessé», avait témoigné Odermatt. Il avait poursuivi sa domination par la suite jusqu'à devenir cette saison, et avec 45 victoires en Coupe du monde, le sixième homme le plus titré du ski derrière Stenmark (86 succès), Hirscher (67), Maier (54), Tomba (50) et Girardelli (46).
Un succès qu'il doit à ses qualités mais aussi à ce collectif suisse qui, loin de l'intimider ou de l'affecter, semble au contraire le porter vers le haut. Or les nouveaux prodiges suisses étant jeunes (Franjo Von Allmen a 23 ans, Alexis Monney 25) ou en tout cas pas très âgés (Loïc Meillard a 28 ans, Stefan Rogentin 30), ils n'ont sans doute pas fini de rendre service au Nidwaldien.
Cet esprit d'équipe pourrait aussi aider Marco Odermatt à garder la motivation dans un futur un peu plus lointain que la saison prochaine, où l'Helvète aura de toute façon la descente de Kitzbühel et les JO de Cortina en tête.
Mais après? «Il ne va pas forcer les choses pour des records», prédisait le skieur français Johan Clarey en mars 2023.
Deux ans ont passé depuis cette déclaration et Marco Odermatt n'a désormais «que» quatre sacres de retard sur la légende autrichienne, ce qui pourrait modifier sa vision des choses, surtout que le patron du ski mondial possède une marge toujours aussi confortable sur ses adversaires. Pour preuve, il devrait terminer l'hiver avec près de 1700 points (et près de 600 d'avance sur Henrik Kristoffersen) malgré un début de saison raté (aucun point lors des deux premières courses).
Une telle domination finit forcément par troubler la lecture des résultats que l'on peut faire et Marco Odermatt a eu raison, ce week-end, de rappeler que chaque gros globe était un exploit. «On oublie souvent ce que cela signifie de remporter la Coupe du monde. C'est déjà difficile de s'imposer dans une seule discipline, imaginez-vous au général.»