Jamais la Moonlight Classic n'avait suscité autant d'intérêt. Et ce n'est pas pour son format original, une nocturne des plus festives, que la course organisée à l'Alpe di Siusi dans les Dolomites a agité la semaine dernière le petit monde du ski de fond.
Un certain Alexander Bolshunov était au départ de l'épreuve populaire italienne. Il n'est autre que le champion olympique en titre du skiathlon, du 50 kilomètres et du relais 4x10 kilomètres. Cela faisait trois ans qu'un athlète russe de niveau international n'avait plus couru, que ce soit dans les Alpes ou en Scandinavie, en raison du bannissement instauré par la Fédération internationale de ski (FIS), mais aussi par le circuit Ski Classics, suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Dès lors, comment le double vainqueur du Tour de Ski a-t-il pu participer à la Moonlight Classic? L'explication est relativement simple: la course ne répond à aucune des deux instances mentionnées précédemment. Présent dans la région afin de repérer les pistes de Val di Fiemme, sur lesquelles se tiendront les Jeux olympiques de Milan-Cortina, événement auquel Alexander Bolshunov compte bien prendre part, le Russe a purement demandé aux organisateurs l'autorisation de s'aligner aux côtés des autres fondeurs. Ceux-ci ont accédé à sa demande.
Cette décision a toutefois provoqué de nombreuses réactions, notamment en Europe du Nord. «Quel que soit le point de vue que l'on adopte, la politique et le sport sont liés. Je ne pense pas qu'il faille utiliser le sport pour légitimer une guerre», a par exemple déclaré la fondeuse suédoise Linn Svahn auprès de la NRK, ajoutant: «Je soutiens le choix de la FIS selon lequel il ne devrait pas y avoir d’athlètes russes dans les compétitions tant que la guerre se poursuit. C’est ce qu'il faut soutenir, peu importe les organisateurs». VG a également rapporté la présence de drapeaux ukrainiens, élevés par des concurrents au moment de la cérémonie protocolaire.
Ursi Meier-Grau était présente sur place. Cette physiothérapeute du sport établie dans le canton de Saint-Gall prenait part à sa première compétition de ski grand public. Elle précise à watson que l'atmosphère le soir de l'épreuve est restée saine. «Au début, je ne savais pas qu'Alexander participait. Mon mari me l'a appris à l'arrivée. Il a été suivi par un caméraman durant toute la course. Les gens ont pu admirer sa performance sur écran géant. Mais je n'ai entendu aucune réaction au sujet de sa participation», confie-t-elle, impressionnée par le fait d'avoir pu skier aux côtés d'un «athlète extraordinaire».
Cette course de Bolshunov est bien sûr parvenue jusqu'aux oreilles des fondeurs suisses, notamment celles de Candide Pralong. Le Valaisan figure parmi les cadres B de Swiss-Ski et reste sur une belle 17e place en Coupe du monde aux Rousses en France voisine. Interrogé par watson, il balaye d'entrée les considérations politiques. «Tout ce qui touche à cela m'intéresse moins. Je me concentre surtout sur l'aspect sportif», souffle-t-il, après avoir pris le temps d'analyser la prestation du champion russe.
La Moonlight Classic marque-t-elle une première étape en vue du retour des athlètes russes à la compétition? «Nous verrons bien. J'espère que cela ne fera que s'améliorer à l'avenir. Mais le plus important est que nous puissions participer à cette course. Nous avons reçu l'autorisation de Donald Trump lui-même», a plaisanté Bolshunov dans les colonnes de la NRK, avant d'enfiler à nouveau un dossard dans les Alpes. Le fondeur faisait ici référence aux récentes discussions entre les présidents américain et russe.
Le temps passant, les protestations s'apaisant, le média norvégien est quoi qu'il en soit convaincu de la réintégration imminente des skieurs russes. Il faut dire que la Fédération internationale de ski semble de plus en plus encline à s'aligner sur le modèle préconisé par le Comité international olympique (CIO).
Pour rappel, 32 sportifs russes et biélorusses ont participé aux Jeux olympiques de Paris 2024 sous bannière neutre. Ces derniers ont dû prouver leur absence de soutien à la guerre en Ukraine. Cependant, ils ont parfois été qualifiés de «traîtres» dans leur pays.
De son côté, Alexander Bolshunov a été élevé capitaine de la Garde nationale. Il a également reçu le prestigieux Ordre de Saint-Alexandre Nevski, à son retour de Pékin. Or il se serait depuis éloigné du régime russe, et sa présence en Italie confirme sa volonté de participer coûte que coûte aux Jeux olympiques de Milan-Cortina.
Loin de toutes ces préoccupations liées à la guerre, Candide Pralong, lui, aimerait simplement revoir Bolshunov (et les athlètes russes de manière générale) sur le circuit international, «pour la beauté du sport».
Cette dernière phrase fait écho aux récents propos du président de Swiss-Ski Urs Lehmann. «Le ski de fond a moins de valeur aujourd'hui qu'il y a dix ans, à cause de la domination des Norvégiens», a-t-il clamé dans une interview accordée à CH Media, groupe auquel watson appartient. Une telle hégémonie ne serait pas aussi flagrante en présence des athlètes russes.
Rappelons enfin qu'avant même l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'Agence mondiale antidopage (AMA) avait décidé le 9 décembre 2019 d'exclure la Russie des compétitions internationales pour une durée de quatre ans, ce qui avait conduit Alexander Bolshunov à concourir aux Jeux olympiques de Pékin sous bannière neutre.
«S’ils reçoivent le même traitement que tout le monde, sur tous les contrôles antidopage, et bien oui, j'aurai confiance, assure Candide Pralong. Je pars du principe qu'elle doit être accordée à tous les athlètes qui n'ont jamais été contrôlé positif», estime le Valaisan, sélectionné pour le 50 kilomètres des Mondiaux de Trondheim, course à laquelle il se prépare activement, à la différence des fondeurs russes.