Le tournoi de Wimbledon 2025 se déroulera du 30 juin au 13 juillet sans juges de ligne. Ces hommes et femmes seront remplacés par un dispositif électronique permettant de vérifier si la balle a touché ou non la ligne (ELC). Un changement important mais qui n'est pas surprenant: depuis plusieurs années, les juges de ligne se savent en sursis. Nous en avions rencontré deux, l'été dernier lors du Ladies Open de Lausanne, et ils se montraient déjà inquiets quant à l'avenir de la profession. «C'est triste», disait même Julien (24 ans).
Marine (21 ans) était encore plus préoccupée, car elle avait fait de l'arbitrage son métier. Elle avait suivi une formation de quatre ans pour avoir le droit d'être juge de ligne dans de grandes compétitions. Elle était sur le terrain lors de la finale dames de Roland-Garros entre Iga Swiatek et Karolina Muchova en 2023. «C'est ma profession, ma vie», insistait-t-elle afin de nous faire comprendre les enjeux de la révolution à venir.
La jeune femme s'était rendue compte qu'elle-même et ses collègues coûtaient plus cher (en salaire, en forfaits repas, en frais de déplacement ou de logement) que n'importe quel système vidéo. Le combat était inégal mais elle estimait qu'il valait la peine d'être mené:
Nous lui avions demandé ce qu'un humain ferait donc de mieux qu'une caméra hawk-eye capable de juger instantanément la validité d'une trace. «Je ne sais pas si on pourrait faire mieux, mais on pourrait en tout cas égaler l'ordinateur, avait-elle répondu. Le pourcentage d'erreurs des juges de ligne dans un tournoi est très faible (réd: une information confirmée à watson par un officiel de la WTA) et la machine peut aussi se tromper, selon l'endroit exact où elle enregistre la marque de la balle pour juger de sa validité. Sur terre battue, l'humain peut observer à la fois l'impact de la balle et la trace laissée par celle-ci sur le court. Honnêtement, je ne vois pas comment on pourrait se passer de juges de ligne sur cette surface.»
La professionnelle trouvait aussi que sa présence et celle de ses collègues apportait «un charme au tennis. Je ne dirais pas que ce serait ennuyeux d'assister à un match sans juge de ligne, mais ça enlèverait de la beauté au spectacle». C'est encore plus vrai à Wimbledon où, comme le résume l'agence ATS, «les arbitres et juges de ligne élégamment vêtus font partie depuis un temps immémorial du tournoi londonien au même titre que les fraises, la crème et la tenue entièrement blanche que doivent porter les joueurs».
Sans l'orchestre, la musique ne sera plus tout à fait la même. On peut s'attendre, dans de nombreux tournois à venir, à ce que des haut-parleurs diffusent des voix métalliques pré-enregistrées pour annoncer qu'une balle est faute (un mode de fonctionnement déjà apparu sur les tournois qui ont essayé l’arbitrage électronique dans un passé récent). «Ce serait monotone et il n'y aurait pas la nuance que nous apportons», faisait remarquer Julien, précisant que «plus la balle est proche de la ligne et plus nous devons crier fort, de sorte à arrêter le jeu aussitôt sans faire douter les joueurs sur la validité du point».
Marine et Julien devaient bien sûr cohabiter avec la pression, un désagrément dont les ordinateurs n'ont même pas idée. «La ligne longue, celle qui est sur le côté, je la connais par coeur. En finale de Roland pourtant, l'enjeu était si important que j'ai eu l'impression de venir sur le court pour la première fois, de découvrir la ligne et le public», reconnaissait Marine.
Malgré tout, les juges de ligne n'ont jamais commis d'erreurs suffisamment graves et/ou répétées pour qu'elles nuisent à leur sport, entachent leur réputation ou questionnent leur légitimité. «Nous sommes invisibles pour les joueurs, rappelait Julien. Parfois, entre deux points, ils passent à quelques centimètres de nous sans jamais nous adresser le moindre regard. C'est comme si on n'existait pas.»
«Dès lors, je ne vois pas pourquoi on devrait nous remplacer», en concluait Marine, qui menait des études pour devenir prof de sport auprès de personnes à mobilité réduite un jour, mais plus tard. «J'aimerais encore être heureuse sur un terrain de tennis pendant quelques années, comme je le suis aujourd'hui.» Sa plus grande crainte était celle de tous les juges de ligne: se retrouver soi-même hors-jeu. Elle est en train de se réaliser.
Cet article a été adapté d'une première version parue sur notre site en juillet 2023.