Le Belge Olivier Rochus (43 ans) a une particularité: il est le premier joueur contre qui Rafael Nadal a perdu un match sur le circuit principal. C'était en avril 2002, au deuxième tour du tournoi de Majorque, premier événement ATP auquel participait l'Espagnol de 16 ans (il avait battu au 1er tour le Paraguayen Ramon Delgado).
«Rafa avait toutefois mal à l'épaule, il n'arrivait pas à servir correctement», reconnaît humblement le natif de Namur.
Olivier Rochus, qui a rangé sa raquette en 2014, a encore affronté à quatre reprises Rafael Nadal, la dernière confrontation remontant à 2011. A chaque fois, c'est le Majorquin qui s'est imposé. Pour watson, le Belge – dont le meilleur classement est un 24e rang mondial (en 2005) – raconte comment il a vécu ses affrontements face au lauréat de 22 titres du Grand Chelem, retraité depuis ce mardi.
C'était comment de jouer contre Rafael Nadal?
OLIVIER ROCHUS: Sur terre battue, il était injouable! Il faisait très mal avec son coup droit violent et très lifté, avec un rebond particulièrement haut. Sur cette surface lente, il avait toujours le temps de bien se placer et d'armer des frappes lourdes. Et il ramenait tout en défense. Sa présence physique était colossale!
Il fallait prendre de très gros risques, en tentant quasiment le coup impossible. Dépité, je n'arrêtais pas de regarder mon coach.
Vous avez senti une évolution dans son jeu, entre votre premier match en 2002 et le dernier, en 2011?
Oui, il a beaucoup amélioré son service, qui n'était pas top au début. Il a nettement gagné en puissance sur ce coup. Son revers slicé est devenu aussi plus tranchant. Nadal avait une grande capacité d'adaptation. Au fil du temps, il a pris la balle de plus en plus tôt, proche de la ligne, et est davantage venu conclure au filet. C'est d'ailleurs ce qui lui a permis de gagner Wimbledon deux fois.
Qu'est-ce qui vous a encore frappé chez lui?
Pour le grand public, Rafael Nadal, c'était surtout des grandes baffes depuis le fond du court. Mais il n'y avait vraiment pas que ça: il jouait aussi très juste tactiquement. Par exemple, il sentait exactement quand monter au filet pour finir le point à la volée ou faire un amorti, après avoir pris l'ascendant dans l'échange. Et il avait une mentalité que je n'ai vue chez aucun autre tennisman...
Vous avez un exemple?
Quand je l'ai battu à Majorque en 2002, je suis arrivé le lendemain matin au club. Il était déjà sur place depuis 8h00, à s'entraîner dur avec son oncle. Il a fait deux heures d'entraînement comme un fou. Je n'avais jamais vu un jeune de 16 ans faire ça. Il venait de battre son premier top 100 au premier tour, dans un tournoi à la maison, son premier ATP. A sa place, tous les autres auraient pris un jour de congé et seraient restés dans leur canapé. Lui non. On savait déjà qu'on aurait à faire à un tennisman hors norme mentalement.
Et ça s'est confirmé par la suite.
Oui! J'ai une autre anecdote qui prouve sa détermination et son abnégation. Une année à l'US Open, alors qu'il était déjà numéro 1 mondial, je le croise à l'entraînement. Comme moi, il jouait son premier tour le lendemain. Il fait une séance de deux ou trois heures. Ensuite, je vais chez le masseur, je sors tard en fin d'après-midi, vers 18h00, et qui c'est que je vois à nouveau sur le terrain? Nadal! Il jouait au mini-tennis, dans les carrés de service, en enchaînant tout calmement des revers croisés pendant que son oncle lui distribuait les balles au panier, comme un débutant, pour peaufiner son geste.
Nadal était aussi connu pour ses sprints et sauts dans les vestiaires, qui avaient de quoi impressionner l'adversaire. Vous l'étiez?
Pas forcément, parce qu'à force, on connaît très bien les habitudes de l'autre. Oui, je l'ai vu sprinter devant moi, mais on n'y fait plus trop attention au fil du temps. Et puis, j'étais plus âgé et expérimenté que lui, je le connaissais depuis ses 16 ans, donc j'étais sûrement moins impressionné qu'un jeune qui l'affrontait pour la première fois. Mais c'est vrai que sa routine avant les matchs, toujours la même et peu importe l'adversaire, était impressionnante: une douche, mettre les habits puis le casque sur les oreilles et enchaîner les sprints et sauts dans les vestiaires.
De l'extérieur, on a justement l'impression que Nadal et Federer étaient très différents dans leur manière de gérer un match.
C'est vrai. Nadal jouait tous les points avec la même intensité. Il n'acceptait pas d'en perdre un seul. Dès qu'il faisait une faute, on pouvait lire sa frustration sur son visage. Federer, c'était différent: s'il avait suffisamment d'avance, on voyait même dans son regard qu'il lâchait à certains moments l'affaire. Et il testait alors un coup inhabituel, par exemple.
Et puis Rafa montrait davantage ses émotions, en s'encourageant. Mais jamais il n'a exprimé sa rage de vaincre en fixant l'adversaire dans les yeux, comme d'autres le faisaient pour provoquer. Il a toujours été fair-play et était le premier à applaudir les beaux coups de ses adversaires.