Armand Duplantis, une personne se catapultant régulièrement dans les airs, à plus de 6m de haut, n'est-elle pas un peu folle?
Oui, ça demande en effet un certain niveau de folie. Je crois que je dois être un peu fou. Mais je ne suis pas le plus casse-cou. Je ne ressens pas le besoin de faire du saut à l'élastique ou de sauter d'un avion. Cela ne me fascine pas. En revanche lorsqu'il s’agit de saut à la perche, je n'ai pas vraiment de peur. Je suis tellement à l'aise avec le processus de saut que je ne pense plus à ce qu'il se passe. J'oublie la hauteur à ce moment-là. Mais vous savez, dans ma discipline, on ne commence pas par sauter six mètres. J'étais petit lorsque j'ai commencé. A l'époque, je décollais à peine.
En quoi exactement est-ce fou?
Le saut à la perche est une discipline exotique. Vous devez avoir confiance en votre matériel, votre entraîneur et vous-même. Il doit y avoir de la confiance pour se catapulter de la sorte. Ce moment où l’on décolle, lorsque l'on met toute notre énergie en s'assurant que tout ira bien requiert un certain niveau de folie. Et du courage. Beaucoup d'athlètes, même à haut niveau, ont quelques craintes. Je pense que c'est ce qui différencie les bons sauteurs des grands sauteurs, plus intrépides.
Qu’est-ce qui vous plaît dans le saut à la perche?
J'aime être bon dans ce domaine. Je mentirais en disant le contraire.
Et qu'est-ce qui vous anime?
La même motivation depuis de nombreuses années.
Cette solidarité entre les sauteurs à la perche, démontrée à maintes reprises, vient-elle du fait que vous pratiquez la discipline la plus folle de l'athlétisme?
Il y a quelque chose qui est ancré en nous à la perche et qui nous fait nous sentir connectés les uns aux autres. Notre compétition dure longtemps. Alors nous nous asseyons les uns à côté des autres et échangeons. Cela permet de réduire les tensions et ça crée une bonne ambiance. Nous voulons passer un bon moment ensemble. Mais bien sûr, je veux avant tout sauter haut et battre les autres. Nous avons un grand respect les uns pour les autres.
Les stars de l’athlétisme sont souvent des sprinters. Le saut à la perche jouit-il du statut qu’il mérite?
Je ne suis pas du genre à me plaindre. Si vous voulez être respecté, c'est à vous de faire en sorte que cela arrive. Je dois gagner la reconnaissance des gens. Bien sûr, le 100 mètres reste le 100 mètres, ça ne changera pas. C'est fascinant de déterminer l'homme le plus rapide.
Vous êtes un athlète exceptionnel, mais aussi un grand showman. Quand avez-vous découvert ce talent?
Je ne sais pas. En fait, je ne me considère pas comme tel. J'essaie juste de sauter le plus haut possible et de m'amuser en le faisant. Je suis bien meilleur comme ça. Je m'en veux un peu quand je ne saute pas comme je le voudrais. Heureusement, cela n'arrive plus si souvent. J'essaie de profiter au maximum en compétition et de redonner l'énergie que le public me donne. Ce n’est pas forcé, cela vient naturellement. Je me laisse guider par l'instant et l'énergie du moment.
Il n’existe aucune autre discipline autant dominée par un athlète. N'est-ce pas ennuyeux?
Pas vraiment. Un saut parfait reste toujours difficile à produire. C'est exigeant, techniquement, physiquement et surtout mentalement. Il y a tellement de paramètres à prendre en compte. Vous savez, il m’a fallu beaucoup de temps pour arriver à ce niveau. Je sais à quel point le chemin a été long et difficile. Il y a eu tellement d’entraînements, tant d’années où je pensais que rien ne se déroulait comme prévu. C’est pourquoi cela reste fantastique d'être là où je suis.
Vos parents sont aussi vos coachs. Quelle signification le mot «famille» a-t-il pour vous?
Cela signifie tout pour moi. Je ne peux pas imaginer une situation dans laquelle je me trouverais sans le soutien de ma famille. Et je ne parle pas seulement de mes parents. Il y a aussi les frères et sœurs. Mon père et ma mère sont bien sûr ceux qui sont les plus proches, car ils planifient ma formation et supervisent également l'aspect technique. En ce sens, ce sont les personnes les plus importantes pour moi en tant qu’athlète. Mais je sais aussi à quel point mes deux frères aînés et ma sœur cadette m’ont aidé à me développer.
Nous vous rencontrons aujourd'hui à l'initiative de la marque Omega. Combien de fois par jour regardez-vous votre montre?
Assez souvent, car je suis régulièrement en retard. Je crois toujours que je peux contrôler le temps, mais en réalité, je suis assez mauvais pour gérer le mien.
Vous en êtes ambassadeur. Qu'est-ce que cela signifie pour vous?
En tant qu’athlète, et ambassadeur de marque, vous avez le sentiment de faire partie d'un groupe spécial.
Que représente les Jeux Olympiques de Paris 2024? Sont-ils encore spéciaux après vos innombrables succès?
En fait, j'ai l'impression que ce sont mes premiers Jeux olympiques. Tokyo était certes formidable d'un point de vue sportif. Cela reste pour moi une expérience étonnante. Mais en raison de la pandémie, je n'ai eu qu'une impression limitée. Célébrer ce premier titre olympique, ce qui était l'un de mes plus grands rêves, m'a paru presque surréaliste. Je pense que ce sera une toute autre expérience à Paris, avec ma famille et tous les spectateurs. Rien que d'y penser, ça me motive énormément. Mais en même temps, je peux aussi dire que la motivation n'a jamais été un problème pour moi.
Et que représente pour vous un centimètre?
Cela dépend du contexte. Il y a tellement de choses à assembler, tellement de choses dans lesquelles je dois m'améliorer pour sauter un centimètre plus haut.
Jusqu’où irez-vous?
Qui sait! Je ne peux pas répondre à cela. Je sais que je suis capable de sauter beaucoup plus haut. Je me sens encore jeune, j'ai de nombreuses années devant moi pour continuer à m'améliorer. Il n’y a pas vraiment de hauteur définie. Il est important de ne pas se focaliser sur un chiffre. J'aimerais bien sûr sauter 6 mètres 30. Cela me semble être un obstacle très réalisable. Mais je vis dans le présent. Il m’est donc difficile de savoir où me mènera ce voyage.
Adaptation en français: Romuald Cachod.