«Beaucoup fumaient des joints sur le Tour de France»
Silvan Dillier, vous avez parcouru plus de 26 000 kilomètres à vélo en 2025, soit plus que de nombreux automobilistes. Quels ont été les plus marquants?
Ceux de Milan-San Remo en mars. C’est la plus longue course d’un jour du circuit professionnel (réd: 289 kilomètres cette année). Pendant 220 kilomètres, j’ai tiré le peloton pour revenir sur le groupe de tête. Au final, notre leader, Mathieu van der Poel, a remporté la course: l’aboutissement d’un effort colossal.
C’est intéressant. Vous optez pour Milan-San Remo, alors que vous n’avez pas terminé cette course. N’est-ce pas paradoxal?
Le cyclisme est devenu un sport d’équipe à part entière. Même les meilleurs coureurs dépendent de la force collective: les équipiers, mais aussi la direction sportive ou les masseurs. A Milan-San Remo, j’ai joué un rôle crucial sans avoir à franchir la ligne d’arrivée.
Au contraire, y a-t-il eu un coup dur pour vous en 2025?
Lors de la troisième étape du Tour de France, notre sprinteur Jasper Philipsen s’est fracturé la clavicule et a dû abandonner. Cela a profondément choqué toute l’équipe. Mon rôle était centré sur le soutien à Jasper. Après son abandon, je me suis demandé ce que je pouvais encore apporter à l'équipe et quelle serait ma mission pour les trois semaines à venir. Nous avons dû nous réorganiser.
Le terme «équipe» est déjà revenu plusieurs fois. Comment expliqueriez-vous à un novice que le cyclisme est avant tout un sport collectif, et non individuel?
Tout repose sur l’abri du vent. Le coureur en tête du peloton encaisse le plus de vent et dépense le plus d’énergie. Plus on se trouve derrière, plus l’effort devient simple. Les équipes performantes misent aussi sur la complémentarité des profils: dans ma formation, Jasper Philipsen peut produire une puissance énorme sur de courtes périodes et conclure au sprint. D’autres savent se placer habilement, notamment lorsque la route se rétrécit après un virage.
Comment vos coéquipiers vous perçoivent-ils en dehors des courses?
L’équipe me voit plutôt comme quelqu'un de calme. Mes collègues m’ont déjà dit à plusieurs reprises qu’ils apprécient cela. Vous savez, je suis le doyen de l’équipe, et avant les grandes courses, je ne suis presque jamais nerveux. Mais là encore, il est important de réunir différents caractères: les farceurs, les plus calmes, et ceux capables de dire les choses quand il le faut.
On vous connaît aussi pour votre franchise, notamment lors des interviews télévisées. Quelle a été votre déclaration la plus mémorable?
Il y a deux ans, au Grand Départ du Tour de France au Pays basque, il s’est passé une scène plutôt drôle. Beaucoup de fans fumaient des joints sur la route du Tour. Après une étape, j’ai déclaré à la SRF:
Mon entourage, ainsi que d’anciens camarades d’école, m’ont envoyé la vidéo: ils trouvaient ça amusant! (Rires)
A propos de votre entourage: vous avez grandi à Schneisingen, dans le canton d’Argovie, et y vivez toujours, contrairement à d’autres professionnels qui préfèrent s'exiler au soleil. Que représente ce lieu?
La sécurité. Je sais exactement ce que je trouve ici.
Ressentez-vous votre notoriété en vous entraînant sur les routes locales?
Oui, tout à fait. Les gens me font souvent signe ou klaxonnent en voiture. On me reconnaît, et avec mon maillot professionnel, je me fais forcément remarquer. Mais les Suisses restent plutôt discrets lorsqu’il s’agit d’aborder des sportifs connus. C’était toutefois différent après ma deuxième place à Paris-Roubaix en 2018: certains ont failli se jeter sous mes roues! Beaucoup m’ont raconté comment et où ils avaient suivi la course.
Vous vivez à Schneisingen avec votre femme et vos deux enfants, mais vous êtes constamment en déplacement et votre famille ne vous suit pas souvent sur les courses. Comment réussissez-vous à concilier vie professionnelle et vie familiale?
C’est le plus grand défi. Pour maintenir cet équilibre, la communication avec ma femme Cornelia est essentielle. Mes enfants ont aussi un grand besoin d’informations quand je suis absent. Je leur explique donc ce que je fais et pourquoi je le fais.
Image: getty
Y a-t-il des rituels familiaux particuliers lorsque vous rentrez chez vous?
J’essaie de passer le plus de temps possible avec mes enfants. Par exemple, le soir, quand ils vont se coucher, je leur raconte mes aventures de la journée ou une histoire inventée qu’ils souhaitent entendre. Avec ces petites attentions, je veux compenser les moments où je ne peux pas être à la maison.
Dernière question, Silvan. Après tant d’années dans le peloton, comment parvenez-vous à rester motivé?
Même après toutes ces années, il reste toujours des choses à optimiser et à tester. Cette année, j’ai battu deux nouveaux records personnels, ce qui me prouve que je n’ai pas encore atteint mes limites. Vous savez, je suis un peu mon propre cobaye. Je me demande si je dois absolument suivre le plan d'entraînement à la lettre, ou si je peux être plus détendu, me sentir libre et améliorer mes performances ainsi. Cela fait maintenant douze ans que je suis cycliste professionnel, mais je suis toujours en quête de l’équilibre parfait.
