La Belgique a vibré sur les bords des célèbres côtes de La Redoute, où Remco Evenepoel a placé son accélération fatale, et de la Roche-aux-faucons. C'est un authentique prodige qui a remporté cette 108e édition de Liège-Bastogne-Liège, un phénomène de précocité, un monstre qui a tout écrasé chez les juniors avant d'atterrir chez les grands, dans les rangs du «Wolfpack» de la Quick-Step.
Remco Evenepoel a remporté la Doyenne des classiques en solitaire, dès sa première participation, avec 48" d'avance sur ses poursuivants. Il a placé un violent démarrage sur le replat, au sommet de la côte de la Redoute, à 29 km de l'arrivée. Il a rejoint en quelques instants le dernier rescapé de l'échappée matinale, le Français Bruno Armirail, qu'il a distancé dans la dernière difficulté, la Roche-aux-Faucons, à 14,5 kilomètres de la ligne.
Evenepoel s'est offert ce succès de prestige le jour où son coéquipier Julian Alaphilippe a été pris dans une grosse chute collective, avant d'être évacué en ambulance.
Remco Evenepoel compte plus de succès que d'années au compteur. Le surdoué du vélo, né en 2000, collectionne les bouquets, 26 précisément dont 4 pour cette seule saison. Ahurissant, surtout que son passage chez les pros n'a pas été de tout repos: une grosse cabriole sur le Tour de Lombardie en 2020 le stoppe net. Le coup d'arrêt. C'est le métier qui rentre, diraient certains.
«Après sa chute effroyable, il était fort amaigri. Il pesait 61 kilos et avait perdu de sa puissance. Aujourd'hui, il est à 64 kilos», livre David Lehaire, journaliste belge à la DH Les Sports+.
Couvé mais pas protégé, Evenepoel est une proie facile pour un pays qui ronge son frein, surtout du côté flamand. Attendu comme le messie, il a hérité du surnom envahissant de «nouveau Merckx». A 22 printemps, Evenepoel peut s'appuyer sur Patrick Lefevere. Le grand manitou de la Quick-Step «a la volonté d'en faire un coureur de courses de 3 semaines. Il se donne deux ans pour y arriver», renseigne Lehaire.
Alors qu'il courait le très compliqué Tour du Pays basque récemment, le prodige belge a obtenu une belle 4e place, à une vingtaine de secondes d'un Daniel Felipe Martinez très solide, d'un Izagirre déchaîné sur ses routes d'entraînement, et du talentueux Aleksandr Vlasov. Une performance de choix après un début de saison tout à fait honorable, avec trois victoires, dont une au général du Tour d'Algarve.
Le Brabançon a eu un déclic sur les terres sinueuses et humides du Pays basque, selon David Lehaire:
Le journaliste et spécialiste de la petite reine suit à la trace le prodige. Il pense qu'Evenepoel a «franchi un palier» depuis le début de la saison.
Les médias belges passent au peigne fin le moindre résultat, comme cette 4e place synonyme de déception pour la presse nationale. «Depuis l'arrivée de la météorite Remco Evenepoel, trois des quatre groupes de presse ont débloqué des budgets pour suivre le coureur à la trace. Il y a un journaliste désigné pour analyser ses performances, nous explique notre confrère wallon Eric Clovio. On est allé au Giro ou au Tour du Pays basque grâce à lui».
Par sa personnalité, le jeune coureur laisse une empreinte dans le paysage médiatique. Eric Clovio explique:
L'avènement du prodige est décryptée autant en Flandres qu'en Wallonie. «Le cyclisme dans la partie flamande est l'égal du football en Wallonie. L'attente est donc énorme en Flandres, surtout quand on présente Remco comme un futur Merckx», décrit Clovio. «Ils adulent plus facilement et créent des célébrités de toutes parts», estime David Lehaire.
Tout paraît différent avec Evenepoel. Son sens tactique, sa manière de dépoussiérer les schémas classiques du cyclisme grâce à des attaques de (très) loin, ces longs raids souvent couronnés de succès. «Son approche du cyclisme est tonique», conclut Clovio.
David Lehaire apporte une autre explication: «Il a une capacité à la résistance largement au-dessus de la moyenne.»
Un cyclisme à l'instinct, à la résistance unique, mais qui pêche par son impatience. Son geste à la Flèche Brabançonne trahit son impulsivité - une poussette sur le coureur qui le précédait, Ben Turner, pour faire sa place dans la roue de Victor Campenearts. Autre exemple, les championnats du monde à Louvain. La situation est un bon indicateur du tempérament du jeune homme, et la vive tension avec Van Aert. «Il n'a pas hésité à surjouer son rôle d'équipier sur la Flèche Wallonne, sa dévotion et son soutien à Julian Alaphilippe», déclare Clovio, comme pour confirmer qu'il est capable de se sacrifier pour le collectif.
Un tempérament bien trempé, un gros moteur et un talent indéniable, Remco Evenepoel est encore au stade de la formation. Eric Clovio souligne qu'il est «au coeur du grand projet d'avenir de Patrick Lefevere».
Evenepoel travaille et apprend. David Lehaire rappelle un détail sur son apprentissage du haut niveau: «Il passe énormément de temps à l'entraînement. Aux JO, il était parti un mois pour s'entraîner au Japon, avant de passer par la fenêtre le jour J. Il a compris, lui et son équipe, que rien ne remplace les courses.»
Le travail de sape est amorcé. Les travaux d'Hercule commencent pour bâtir le coursier en devenir. «Il a compris qu'il ne pouvait pas toujours gagner. Il est plus serein», nous confie Lehaire après avoir échangé avec le père de Remco.
Et le jeune Belge progresse à grande vitesse. Un travail minutieusement mené par Patrick Lefevere. «Le staff est très présent et lui donne des points de repère. Et Evenepoel est très sensible à ça», explique Clovio. Remco arme et la Quick-Step ajuste la cible pour effacer des tablettes Johan De Muynck, dernier vainqueur belge sur un Grand Tour en 1978.