Son sourire nous taquine mais la langue qui s'y faufile semble pointer des coupables. Elle est une invitation à ravaler la nôtre. A la laver au savon noir, une punition infligée aux enfants de jadis et de Navarre quand ils disaient des gros mots.
Avons-nous réellement prononcé de telles insanités? Qu'importe. Neymar a entendu toutes les questions sur son âge, son gros ventre et ses grasses mat'. Il répond avec la langue, avec une talonnade, avec la tête, du bout des pieds ou en frappant fort. Et pan dans nos dents: 5 buts et 6 passes décisives en 3 matchs.
Alors bien sûr, on pourrait emboîter la voix de Jérôme Rothen et répéter encore que le Brésilien est «just a rigolo» (🎼), que passée la Coupe du monde, on ne le reverra plus, sinon au Carnaval de Rio. «Sa saison sera terminée en novembre», annonce fièrement Rothen, grand oracle du déclin éternel.
Mais ce serait oublier (encore. Et encore) que Neymar a la facétie dans le sang. Le faux rythme dans la peau. C'est l'un des nombreux biais de Rothen que de juger les footballeurs à travers le prisme de l'intellectualisme parigot, de les classer parmi les bons, respectueux de leur environnement, ou les cailleras du 9-3. Mais Neymar n'est pas de ce monde-là. Il a appris le dribble pieds nus, dans la caillasse, face à une horde de gredins dépenaillés. C'est un enfant de la balle, une terreur de cour de récré, et il l'est resté. La langue bien pendue, il nous le rappelle à l'envi.
Donc il nous prendra à contre-pied. Toujours. Même vieux, même bof, même perdu dans des volutes de mojitos glacés, parce que son corps a appris l'astuce et l'espièglerie (🎼), des trucs de mec facile. Pour le reste, on ne sait pas. Mais pour la gaudriole, il est là.
La seule question intéressante dans la conjoncture actuelle est de savoir pourquoi maintenant? Pourquoi aussi subitement? Eblouis, les observateurs ont chaussé leurs lunettes de sept lieues pour partir à la découverte de la vérité.
Les plus prévisibles ont commencé par brandir «l'effet Galtier», du nom du nouvel entraîneur bombardé à la tête du PSG parce qu'il a promis allégeance au directeur sportif. Daniel Riolo, qui dit parfois des bêtises mais toujours des choses claires, s'est esclaffé:
Puisque nous sommes des êtres désespérément rationnels, nous avons ouvert l'agenda et constaté que 1) pour la première fois depuis longtemps, Neymar a eu de longues vacances et une préparation complète 2) la Coupe du monde arrive dans trois mois. Deux bonnes raisons de retrouver un «summer body» et de vouloir séduire.
Comble de chance, Lionel Messi revient en forme au même moment. Les deux potos retrouvent leur connexion, ce formidable réseau de connivence qui, d'un bout à l'autre du terrain, conduit à une entente parfaite; appels masqués, lignes directes (liaisons secrètes). Neymar a posté ce message mardi soir sur son compte Insta: «Idole et ami, merci le football». Tout est dit.
A Clermont, en ouverture de la saison, les amis ont filé au vestiaire bras dessus, bras dessous, seuls au monde, sans un geste pour les supporters qui les sifflaient rageusement depuis des semaines et qui semblaient les aimer de nouveau. L'amour est aveugle, l'infidélité est amnésique. «Cette scène d'ingratitude» (sic!) a choqué les ultras du PSG mais elle donne raison à Daniel Riolo: Neymar est vexé. «Toutes les critiques autour de lui ont fini par fouetter son orgueil.» Et c'est pareil pour Messi.
Quand il a engagé l'enfant de Santos, Paris a allumé la tour Eiffel et l'a fait roi. Depuis quelque temps, le Ney n'était bon qu'à tenir la chandelle et à devenir le laquais de Kylian Mbappé, le nouveau préféré de l'émir.
Le peuple l'a hué à chaque fois qu'il faisait son numéro et beaucoup n'ont vu en lui qu'un vieil acrobate alcoolo, attifé de brushings ridicules, infichu d'enchaîner deux dribbles sans finir sur le dos. C'est vrai que Neymar était moins facile qu'avant, un peu nonchalant et agaçant, avec cette façon de criser quand on lui chipait le ballon et de traîner les pieds quand on le grondait.
Il a tout entendu. Les colères de la vox populi et les railleries du Tout-Paris. Les ragots qui l'envoyaient chez le plus offrant, même en Turquie, sinon dans un placard (appelé loft) où l'émir entasse tous ses jouets joueurs inutiles et inutilisés.
Il a entendu que Mbappé serait désormais le tôlier, qu'il se chargerait des penalties à sa place et qu'il lui déléguerait le privilège des tâches obscures. Comme Ronaldo à Manchester et Dimitri Payet à Marseille, Neymar est devenu un ex. L'idole décatie d'un club volage dont il reçoit encore beaucoup d'argent (37,7 millions d'euros par an) mais toujours moins de considération.
Alors il ne faut pas s'étonner que Neymar soit reparti dans ses dribbles, tête baissée et mâchoire serrée, fouetté par les critiques. Pirouettes, pichenettes, et cacahuètes. Ovation debout au bien nommé Parc des Princes.
Personne ne sait jusqu'où il ira mais les terreurs de cours de récré n'en ressortent que l'ego salement amoché, vaincu par plus forts – or rien ne prouve que Mbappé réussira à imposer sa volonté, que ses ambitions ne seront pas contrariées, surtout s'ils s'y mettent à deux.
Cet été, le président Nasser al-Khelaïfi a désigné Neymar, sans le nommer, comme la représentation même de ce qu'il ne voulait plus pour le PSG: des créatures du vedettariat, stars de colifichets et de Youtube, moins attirées par les charmes bucoliques d'un déplacement à Angers que par une série de déhanchements à la fashion week.
Mais Neymar est sous contrat jusqu’en 2027 et ceux qui s'époumonent encore à le siffler «risquent de se fatiguer» avant lui, comme toutes les rumeurs qui courent à son sujet. Après trois matchs d'une telle allure, il a le droit de tirer la langue. En retour, nous lui tirons notre chapeau – en attendant novembre.