Le huitième de finale de l'Euro 2024 Autriche-Turquie, remporté par les hommes de Vincenzo Montella, est encore dans toutes les mémoires. Buteur dès le coup d'envoi, puis auteur d'un doublé à l'heure de jeu, le Turc Merih Demiral avait célébré sa seconde réussite en joignant son pouce au majeur et à l'annulaire.
Le joueur d'Al-Ahli, passé par la Juve ou l'Atalanta, réalisait par ce geste le signe de ralliement de la milice turque des «Loups gris». Il s'agit du mouvement paramilitaire du Parti d'action nationaliste (MHP), un partenaire de coalition du parti de Recep Tayyip Erdogan, situé à l’extrême droite sur l'échiquier politique turc et proche de l'idéologie fasciste.
Ce groupuscule est surveillé de près sur le Vieux Continent. C'est le cas en Allemagne, pays hôte du dernier Championnat d'Europe des nations. Il a été dissous en France en Conseil des ministres, alors qu'il n'avait pas d'existence légale officielle. L'organisation est interdite en Autriche depuis 2019 et le geste, équivalent au salut nazi, y est interdit. Discrets, les extrémistes de droite turcs sont également actifs en Suisse.
La célébration de Merih Demiral en référence aux «Loups gris» faisait suite à l'ouverture d'un procès ultra-médiatisé en Turquie, après l’assassinat en plein jour d’un ancien chef de la branche. 22 personnes étaient alors jugées dans une ambiance tendue. Demiral avait immédiatement écopé d'une suspension de deux matchs par l'UEFA, car la politique n'a pas sa place sur les terrains de football. Son équipe ayant été éliminée par les Pays-Bas au tour suivant, il n'était plus réapparu à l'Euro. Il avait cruellement manqué à ses coéquipiers face aux hommes de Ronald Koeman.
Cette sanction prononcée par l'instance basée à Nyon avait été très mal accueillie en Turquie, par les supporters et les autorités. A tel point que les fans turcs présents à Berlin ont massivement reproduit le signe des «Loups gris» en marge du quart de finale contre les Pays-Bas. Le maire de la ville de Bolu dans la province du même nom, Tanju Özcan, promettait pour sa part d'ériger une statue en l'honneur du joueur et de sa célébration. «Je vous promets que je ferai construire une statue de Merih Demiral reproduisant le signe Bozkurt à Bolu», avait-il fait savoir à ses administrés, rappelle le quotidien allemand Bild.
C'est désormais chose faite. La chaîne de télévision turque Koroglu TV et de nombreuses photographies attestent de la présence d'une statue à une intersection du quartier de Karaçayır, au sud de la ville. Tanju Özcan a donc tenu parole. L'édifice a été inauguré lors d'une cérémonie officielle en sa présence. Le maire a profité de cette occasion pour prendre la parole et dire ce qu'il pensait de cette célébration controversée.
Tanju Özcan a ajouté durant son discours qu'il désapprouvait et méprisait vivement «la condamnation prononcée à l'encontre de Merih Demiral. Je maudis la Fédération turque de football, car elle n'a pas réussi à empêcher cette sanction». L'homme a conclu de manière provocante avec les propos suivants: «Voyons si l’Europe me punit également».
Certains médias turcs relayaient en août dernier une proposition similaire à Izmir sur les bords de la mer Égée. Soumise par le vice-président du Parti d'action nationaliste (MHP), Bahadir Altinkeser, la motion a été approuvée, mais le maire de la ville, Cemil Tugay, s'est fermement opposé au projet. «Nous n'érigerons pas la statue d'un footballeur reproduisant le symbole du "loup gris" à Izmir», avait-t-il déclaré à l'issue d'un débat ayant suscité la controverse dans la ville.
Merih Demiral s'est exprimé sur les réseaux sociaux après l'inauguration de sa statue. «Elle incarne nos concitoyens dont le cœur bat pour le croissant et la lune. Elle est à la fois un honneur pour moi et l'expression la plus concrète de ma fierté de faire partie de ce beau pays», a-t-il écrit en partageant sa gratitude. Il avait aperçu le signe du loup dans les travées du stade de Leipzig après son second but, et c'est ce qui l'avait poussé à le reproduire de manière instinctive.