La face sombre de Curaçao, invité surprise du Mondial 2026
C’est l’une des principales informations de la semaine sur la planète sport: Curaçao disputera l'été prochain sa première Coupe du monde, devenant ainsi, avec ses 160'000 habitants, le plus petit territoire jamais qualifié pour un Mondial.
Cet Etat autonome du royaume des Pays-Bas, situé en mer des Caraïbes, a obtenu son ticket en devançant notamment la Jamaïque dans son groupe. Mais s’il s’est qualifié pour la Coupe du monde, c’est aussi grâce au passage à un format élargi à 48 équipes, ainsi qu’aux qualifications automatiques des Etats-Unis, du Mexique et du Canada, pays hôtes, tous exemptés des éliminatoires de la Concacaf.
Curaçao se fait donc un nom sur les terrains de football, après s’être fait connaître pour ses paysages de carte postale, sa liqueur utilisée dans de nombreux cocktails, ses stars de la MLB et ses sprinteurs, comme Churandy Martina, détenteur d’un record en 9"91 sur 100 mètres.
Mais derrière cette façade, l’île révèle des facettes bien plus sombres, notamment le traitement inhumain réservé aux migrants vénézuéliens, et l’octroi de milliers de licences à des casinos en ligne et sites de paris sportifs, dont certains sont actifs illégalement en Suisse. Bien sûr, d'autres lieux enregistrent également des opérateurs douteux. Mais Curaçao demeure le plus important, avec environ 20'000 plateformes comptabilisées par la Fondation pour la représentation des victimes des jeux en ligne (SBGOK).
L’activité s’y est développée en raison notamment d’une fiscalité avantageuse, d’un accès simplifié au système bancaire international, d’une réglementation quasi inexistante en matière de jeux d’argent et d’un environnement entrepreneurial opaque.
A Curaçao, quatre entreprises ont obtenu une licence internationale, puis ont profité des largesses du cadre local pour distribuer leur sésame sous forme de sous-licences. Ainsi, pendant longtemps, il suffisait d’immatriculer une société dans les Caraïbes, de désigner un représentant local et de régler environ 50'000 francs pour obtenir rapidement le droit d’exploiter un site de jeux à l'international, et accéder à un réseau de partenaires stratégiques, notamment les banques et solutions de paiement. Ce fonctionnement a récemment évolué. Nous y reviendrons plus tard.
Une fois actives, ces plateformes ont ensuite opéré dans des régions où la réglementation sur le jeu est inexistante ou approximative, mais pas seulement.
En Suisse, pour ce qui est des paris sportifs, seuls «Jouez Sport» en Romandie et «Swisslos» en Suisse alémanique et au Tessin sont autorisés à exercer en ligne. Pourtant, une simple recherche sur internet nous mène vers des sites comme Sultanbet, Betlabel, Rabona (nouveau partenaire du Napoli) ou encore Bahibi, dont la page d’accueil met en avant des joueurs du Lausanne-Sport et de Young Boys. Tous sont enregistrés à Curaçao et illégaux en Suisse.
L'accès se fait sans VPN ni contournement d'un blocage DNS, depuis des annuaires de référencement. Mais le recrutement des joueurs peut aussi s'opérer via les réseaux sociaux et des applications comme Telegram, à coups de promotions et de conseils dispensés par les tipsters, ces pseudo-experts promettant des gains rapides et faciles. En outre, ils vantent les cotes attractives de ces opérateurs, obtenues grâce à des charges et des coûts de fonctionnement réduits. «Jouez Sport» ne peut s'aligner.
Le point commun de tous ces sites: ils affichent une URL revisitée, souvent accompagnée d’un numéro, signe qu’ils ont été bloqués par l’Autorité intercantonale de surveillance des jeux d’argent (GESPA), avant de réapparaître via un site miroir sur une adresse légèrement modifiée. Le jeu du chat et de la souris.
Miser sur des plateformes illégales, parfois sans même savoir qu’elles le sont, n’expose pas légalement les joueurs suisses, mais le risque d’addiction est potentiellement plus élevé, ces sites n’étant soumis à aucune obligation de jeu responsable. De plus, les joueurs peuvent ne jamais toucher leurs gains et financer involontairement des réseaux criminels ou terroristes, liés de près à ces activités.
Pour la Confédération, c’est également un manque à gagner. Alors que la «Loterie romande» et «Swissloto» sont des organismes reconnus d’utilité publique, reversant leurs bénéfices aux associations sportives et culturelles du pays, et que les casinos en ligne agréés, extensions des casinos physiques, sont soumis à l’impôt sur les maisons de jeu, les plateformes illégales, elles, échappent à tout contrôle, quand bien même, rien que pour la partie casino, la société de conseil KPMG estime que les casinos en ligne illégaux représentent 40% du marché en Suisse.
Fin 2024, face à l'insistance des Pays-Bas, Curaçao a semblé durcir les conditions d’octroi de ses licences en créant la Curacao Gaming Authority, un organisme chargé de leur délivrance. Cependant, selon Les Echos, en l’espace de quelques semaines, l’autorité avait déjà répondu favorablement à 200 demandes, l’obligation de recruter un employé en plus du représentant légal ne freinant pas les ardeurs des futurs opérateurs. Certains semblent toutefois se tourner désormais vers Anjouan, Etat fédéré de l’Union des Comores, qui entre dans la danse en offrant des conditions visiblement plus favorables qu’à Curaçao.
