Ronaldo est devenu un fardeau
Ce que Cristiano Ronaldo a vécu contre l’Irlande, les journalistes sportifs américains appellent cela, dans leur jargon imagé, «une très mauvaise journée au bureau». Son équipe, pourtant physiquement impressionnante et emmenée par un avant-centre censé symboliser la force du collectif, s'est inclinée 2–0 face à une Irlande combative. Mais la soirée a surtout été marquée par l'expulsion logique de la star de la Seleção, coupable d'avoir violemment frappé le dos de Dara O’Shea avec son coude.
Replay:
En infériorité numérique, les Portugais, malgré leur nette domination, ne sont plus parvenus à changer l’issue du match.
Au terme de cette rencontre, deux questions s'imposaient:
- Combien de temps encore l’équipe du Portugal va-t-elle continuer à s’organiser autour d’un joueur de 40 ans qui n'est clairement plus à ce qui était son meilleur niveau?
- Et Ronaldo lui-même ne devrait-il pas se demander s’il n’est pas enfin temps de raccrocher le maillot du champion d’Europe 2016?
Car la légende vieillit mal. Ce n’est pas tant le nombre de ses années qui pèse sur lui. Cristiano Ronaldo affiche une fraîcheur enviable, quel que soit l’âge qu’indique son passeport. Même ses détracteurs les plus acharnés lui reconnaîtraient sans hésiter un physique de dieu grec. Et ses performances restent impressionnantes. Qu’il n’ait plus la pointe de vitesse d’un joueur de vingt ans est logique. Face à la plupart de ses adversaires trentenaires, il tient encore aisément le rythme.
La question de la vitesse ou de l'âge n'est finalement pas si importante: un attaquant qui marque a toujours raison. Ronaldo totalise huit buts internationaux en compétitions officielles sur l’année 2025. Si un attaquant affichait une telle statistique dans la plupart des équipes nationales, son âge ne serait même pas mentionné: le sélectionneur lui demanderait seulement quel numéro de maillot il veut porter.
C'est différent avec Ronaldo, dont les qualités, au-delà de sa puissance physique, ont toujours été sa volonté farouche et son sens du travail. Elles se sont muées en faiblesses, car elles le poussent à s’accrocher avec la même obstination à son glorieux passé, à refuser de lâcher prise, à figer le temps – au détriment de son équipe, et de lui-même.
Le match contre l’Irlande en a donné plusieurs exemples. Quand un joueur expérimenté comme Ronaldo réagit comme un adolescent indiscipliné en frappant O’Shea, simplement parce qu’il vit le score de 2–0 (pourtant sans grande importance) comme une attaque personnelle, c’est surtout indigne. Quand il se moque ensuite de ce même adversaire en lui faisant un geste pour le traiter de «pleurnichard», c’est puéril. Et quand il applaudit ironiquement le public irlandais qui le hue après un carton rouge parfaitement justifié, c’est juste embarrassant. Presque ridicule. En tout cas indigne d’un joueur avec un tel palmarès.
Le problème, c'est aussi que Ronaldo représente une forme de plafond de verre pour tout successeur potentiel en sélection. Gonçalo Ramos et Rafael Leão, respectivement âgés de 24 et 26 ans, attendent depuis des années qu’on leur donne une chance de marcher dans ses gigantesques traces. Depuis des années, l’omniprésent Ronaldo leur barre cette voie, rien que par sa simple présence à la pointe de l’attaque.
Une forme de blasphème
Le milieu de terrain Vitinha possède lui aussi tout le talent nécessaire pour devenir la prochaine grande star de la Seleção. Chef d’orchestre du Paris Saint-Germain, il incarne l’excellence mondiale. Mais en sélection, il joue les seconds rôles. Pourquoi? Parce qu’au Portugal, personne ne peut être plus grand que Cristiano Ronaldo. Il ne laisse personne approcher sa statue, encore moins la dépasser. C’est ainsi que Ronaldo se considère – et le Portugal entier n’ose pas le contredire. Ce serait, pensent beaucoup, une forme de blasphème.
Enfin, dans les pays de langue portugaise, il existe un mot pour définir l’essence du football: le jogo bonito, le «beau jeu». Cette idée fait partie intégrante de leur culture, surtout au Brésil, mais aussi au Portugal. Or, le jeu de Cristiano Ronaldo n’a plus rien de «beau». Son football est toujours extrêmement efficace, mais il est devenu dur, froid, presque mécanique.
Voir Ronaldo sur un terrain devient désormais «désagréable». Sa colère et son amertume montrent à quel point il refuse d’accepter ce qui est pourtant inévitable. En agissant ainsi, il empêche le Portugal de préparer son avenir et ne se rend sans doute pas compte des dégâts: il veut porter son pays à lui seul, mais est devenu un fardeau. Et, paradoxalement, il finit par abîmer ce qui compte le plus pour lui: Cristiano Ronaldo lui-même.
