Les révélations de la NZZ sur Dominic Stricker ont créé un tremblement de terre dans le tennis suisse, la semaine dernière. Le media affirme que le Bernois de 22 ans, ancien grand espoir, a récemment fait part – en privé – de son envie d'arrêter sa carrière, au plus tard à la fin de l'année. Le huitième de finaliste de l'US Open 2023 traverse une grosse crise de résultats: il a concédé six défaites en six matchs sur le circuit principal cette saison et est retombé à la 284e place mondiale.
La NZZ et plusieurs médias suisses ont identifié ce qu'ils décrivent comme la cause principale des problèmes actuels de Stricker: son père, Stephan. Ce cuisinier de formation, qui travaille désormais pour la police, est le manager de son fils. Il est présenté comme trop exigeant et trop intrusif dans la carrière de sa progéniture. L'Aargauer Zeitung va même jusqu'à dire qu'«il crée des tensions partout où il passe». Notamment chez Swiss Tennis, la fédération, qu'il a attaquée verbalement plusieurs fois, lui reprochant de ne pas suffisamment soutenir son fils.
Le coach de Dominic Stricker, Dieter Kindlmann, a d'ores et déjà posé sa démission. L'actuel 284e joueur mondial a, lui, laissé entendre qu'il cherche désormais à s'émanciper de la tutelle de son père, en lui trouvant un remplaçant.
La situation de Dominic Stricker s'ajoute aux innombrables cas de parents problématiques dans le tennis professionnel. Et il y a eu de véritables scandales. Souvent, ils concernent le tennis féminin. Mais pas que. En 2017, l'ancienne numéro 4 mondial, Jelena Dokic (41 ans), publiait un livre (Unbreakable) dans lequel elle raconte le calvaire que lui a fait subir son coach de père, Damir, durant toute sa carrière. Après des défaites, il la frappait ou l'humiliait physiquement et verbalement.
D'autres ont été victimes de pareils traitements: la Française Aravane Rezaï s'est faite agresser physiquement par son père, Arsalan, dans les vestiaires de l'Open d'Australie 2011. Elle a porté plainte contre lui pour «violences volontaires et menaces de mort» et il a été banni du circuit féminin.
John Tomic a, lui aussi, causé beaucoup de préjudices à son fils Bernard, même s'il a réussi à en faire un prodige. Parmi ses «highlights», Tomic père a notamment cassé la figure d'un sparring-partner de son fiston et forcé ce dernier à abandonner un match (et donc le tournoi), car selon lui, les juges de ligne ne sanctionnaient pas les fautes de pied de son adversaire. Conséquence: Bernard Tomic a été suspendu un mois par la fédération internationale.
L'Equipe rappelle aussi que lors d'un match à Miami en 2012, l'ancien 17e mondial a supplié l'arbitre d'expulser son paternel du stade, dont il ne supportait plus les remontrances.
Toutes ces affaires et le récent cas Stricker (même s'il est moins grave) rappellent que le tennis est un sport particulièrement à risque en ce qui concerne les débordements de parents qui officient comme coach ou manager. Et ça s'explique.
Déjà, parce que le tennis, de par son essence et ses structures, favorise la présence de parents dans le staff. Il est un sport individuel, où les joueurs sont libres de choisir qui ils veulent pour les coacher (nul besoin de diplômes). Même si les fédérations chapeautent les carrières, les parcours restent très individualistes, contrairement à d'autres disciplines. Et pour des parents, investir dans des entraîneurs pros – pour autant qu'ils soient encore disponibles – coûte très cher. Beaucoup n'en ont pas les moyens, alors ils s'improvisent coachs.
Certains craignent aussi la jungle qu'est le tennis professionnel. Du coup, ils font tout pour rester très proches de leur progéniture. C'est ce qu'explique dans L'Equipe Walter Bartoli, coach et père de Marion (lauréate de Wimbledon 2013):
Et puis, pour les parents avides de gloire par procuration et d'argent, le tennis est un sport idéal: avec quelques bons résultats, les jeunes prodiges deviennent vite des stars et des millionnaires, contrairement à de nombreuses autres disciplines.
Certains, comme les pères Dokic, Tomic ou Rezaï, ne se sont fixés apparemment aucune ligne rouge pour arriver à leurs fins.
C'est là, forcément, que les problèmes et les gros clashs surgissent, parce qu'il est impossible pour les tennismen et tenniswomen de supporter une telle pression. Celle-ci est d'autant plus forte que les joueurs, dans ce sport individuel, sont livrés à leurs coachs: sur le circuit, ils voyagent avec eux onze mois sur douze et les côtoient quasi constamment (sur le terrain bien sûr, mais aussi dans les transports, à l'hôtel, etc.).
Bien sûr, tous les conflits entre un joueur ou une joueuse et son coach de père n'ont pas comme cause la folie aveugle de ce dernier, ni n'aboutissent à de la maltraitance. Mais ils peuvent malgré tout laisser de grosses traces. Un exemple récent? La décision, en août dernier, de Stefanos Tsitsipas de se séparer de son père, Apostolos. Le Grec a reproché à son paternel un manque de psychologie lors d'un match (perdu):
Non, devenir entraîneur d'un tennisman professionnel, avec toutes les connaissances – en matière de technique, de tactique, de physique, de mental ou encore de nutrition – que la fonction requiert, ça ne s'improvise pas. Certains parents semblent l'oublier. Et malgré leur manque de compétences, ils veulent imposer leur manière de penser ou de faire. De quoi créer des tensions avec le joueur ou les autres membres du staff, qui peuvent déboucher sur la démission de ces derniers. C'est ce qui semble expliquer le départ du coach de Stricker, par exemple.
Après les nombreux abus, la WTA – l'instance qui gère le circuit féminin – a créé en 2007 un label de «coach agréé». Les entraîneurs sont désormais obligés de signer une charte de bonne conduite. Mais la démarche n'a pas éradiqué le fléau des paternels destructeurs, preuve en est «l'affaire Aravane Rezaï» quatre ans plus tard. Non, le tennis n'est toujours pas un repaire de pères pépères.