La fondue et la crème double doivent se faire une raison: depuis samedi, elles ne sont plus les ambassadrices les plus populaires du canton de Fribourg. Non, c'est désormais Michel Aebischer qui est sur toutes les lèvres.
Et pour cause: le milieu de la Nati a été le héros principal de la victoire contre la Hongrie (3-1), en offrant un caviar à Kwadwo Duah sur le 1-0 et en marquant lui-même le 2-0 grâce à un superbe tir enroulé. Sans oublier son indispensable travail à mi-terrain, où il se montre aussi à l'aise défensivement qu'à la construction du jeu.
En fait, si on parle autant du Fribourgeois (27 ans) ces derniers jours, c'est aussi, sûrement, parce qu'on l'avait si peu fait jusqu'à présent. Non pas que le numéro 20 de la Nati ne présente aucun intérêt, loin de là. Mais il n'est pas du genre à braquer les projecteurs sur lui. Un constat qui se fait sans avoir besoin de connaître le bonhomme: à une époque où le bling-bling est omniprésent chez les footballeurs, lui reste simple. Ni tatouage, ni cheveux décolorés ou crête iroquoise, ni dégaine digne des défilés de mode les plus audacieux (coucou l'équipe de France).
Michel Aebischer, c'est l'employé de banque ou l'assureur qui nous inspire confiance. Son compte Instagram est à son image: épuré et discret. Aucun déballage de sa vie privée, pas même une photo avec sa petite amie (que l'on a aperçue à son côté dans le stade après le match face à la Hongrie). Toutes ses publications ne concernent que le football, son métier mais avant tout sa grande passion depuis toujours. «Je n'ai aucune idée de ce que j'aurais fait si je n'avais pas été footballeur», confiait celui qui a tapé ses premiers ballons à 5 ans à Heitenried, ce village singinois de 1400 âmes dans la partie alémanique du canton de Fribourg.
Même en dehors de son job, le ballon rond semble occuper tout le temps du milieu de Bologne. Dans un portrait que lui a consacré l'Aargauer Zeitung en 2021, le journaliste lui demandait ce qui l'intéressait quand il ne jouait pas. Sa réponse: «Regarder le football!»
C'est peut-être parce qu'il aime tant ce sport qu'il n'a pas besoin de l'utiliser comme vitrine ou gonfleur d'ego, là où nombre de ses confrères friment sur les réseaux sociaux dans des voitures de sport, montres de luxe au poignet ou bimbos à leur bras. Michel Aebischer, lui, vit le foot pour ce qu'il est. Et a les pieds sur terre. Une autre preuve? Dans une interview, il expliquait son désintérêt pour les vêtements de marque et confiait avoir économisé son premier salaire à Bologne, au cas où des temps plus difficiles arrivaient. Et quand on lui demande quel super-pouvoir il aimerait avoir, sa réponse a elle aussi de quoi détonner: «Ne jamais me blesser».
Toutes ses qualités se reflètent dans les interviews que le nouveau buteur de la Nati accorde, où ce germanophone s'exprime dans un français impeccable. Il y a la forme, mais aussi le fond. «Le fait de ne pas jouer ne me gêne pas. Être convoqué en équipe de Suisse est un immense honneur. Si je suis sur le banc, je peux vous assurer que je suis le plus grand fan de l’équipe», affirmait ce grand supporter du Real Madrid et de Gottéron à la presse après la première victoire suisse à l'Euro.
Un gentleman, qui n'en est pas moins un grand compétiteur performant: voilà qui nous rappelle nos deux grandes idoles nationales, Roger Federer et Marco Odermatt. Et heureusement pour les fans de l'équipe nationale que nous sommes, ce gendre idéal n'a pas choisi de devenir employé de banque ou assureur.
La personnalité de Michel Aebischer s'exprime aussi dans son style de jeu. «Etre clair dans les passes, jouer simple, à deux touches», décrivait-il lui-même à Radio Fribourg. Contre la Hongrie, c'est exactement de ce que le numéro 20 a fait. Avec, en plus, cette petite dose d'audace qui a fait mouche sur son but (son premier en 21 capes). Tous saluent aussi l'intelligence tactique et la polyvalence de l'ancien joueur de Young Boys. Habitué à évoluer dans l'axe (soit comme milieu défensif ou offensif), il a été aligné sur le flanc gauche par Murat Yakin contre les Hongrois. Une surprise du chef qui a donc parfaitement fait son effet.
Là encore, il faut voir derrière cette flexibilité un trait de caractère: quand beaucoup boudent – et le font savoir – lorsqu'ils ne jouent pas à leur poste de prédilection, Michel Aebischer ne rechigne pas et s'adapte. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le Fribourgeois a hérité plusieurs fois du brassard de capitaine cette saison à Bologne, un rôle généralement attribué à ceux qui font preuve d'un état d'esprit irréprochable.
Celui dont l'idole est Toni Kroos – «parce qu'il a un peu le même style que moi et qu'il me ressemble» – sort d'une saison pleine dans la Ville Rouge: il a pris part à 36 des 38 matchs de Serie A, avec 68% de titularisations. Les Rossoblù – pour qui jouent aussi deux autres membres de la Nati, Dan Ndoye et Remo Freuler – ont décroché une très belle cinquième place, synonyme de qualification directe en Ligue des champions.
Comme au sein de la Nati (première sélection en 2019), l'ex-d'YB a réussi à s'imposer petit à petit à Bologne, en attendant patiemment son tour. Il avait débarqué en Émilie-Romagne en janvier 2022 en provenance de Berne, et c'est peu dire que la concurrence y était féroce. «J’ai dû me mettre à niveau sur le plan physique. Les impacts sont plus rudes qu’en Super League. On était sept pour deux places!», racontait-il lors de la dernière Coupe du monde au Qatar. Un tournoi durant lequel il avait dû se contenter d'un statut de remplaçant et n'avait disputé que 14 minutes (contre le Brésil).
Même si son humilité l'empêche de l'affirmer, le Fribourgeois peut aspirer à beaucoup plus en Allemagne. Questionné en conférence de presse sur le mauvais état du football dans son canton (le meilleur représentant, Bulle, évolue seulement en troisième division), Michel Aebischer est prêt à être son meilleur ambassadeur:
La crème double et la fondue fribourgeoises n'ont même pas à s'inquiéter d'être temporairement éclipsées par le footballeur d'Heitenried: il est lui-même un grand amateur de produits laitiers. «Le lait est le produit dont mon frigo ne manquera jamais», avait-il confié dans une vidéo pour le site web d'YB. Vous avez dit «Suisse typique»?