Une scène inhabituelle a eu lieu à la 85e minute du match Servette-Winterthour dimanche. Remplacé par son entraîneur, l'attaquant genevois Jérémy Guillemenot est sorti sous les sifflets d'une bonne partie des 7800 spectateurs. En cause: des prestations jugées insuffisantes par le public, y compris celle de dimanche.
Cette saison, Guillemenot (27 ans), remplaçant, doit se contenter de bouts de matchs. Contre Winterthour, il était exceptionnellement titulaire, à cause de la suspension d'Enzo Crivelli. Et le numéro 21 n'en a pas profité pour retrouver la confiance: il a raté un penalty à la 23e minute – qui aurait pu permettre à son équipe d'ouvrir le score – et n'a pas trouvé le chemin des filets. En 22 matchs de Super League cette saison, son compteur reste bloqué à zéro but et seulement deux passes décisives.
Malgré son inefficacité, Jérémy Guillemenot mouille le maillot, comme on dit dans le jargon, et a un comportement irréprochable hors du terrain. Alors plusieurs personnes liées au club ont fait part de leur colère vis-à-vis de ces sifflets. A commencer par Tibert Pont, ancien capitaine grenat, qui les a tout de suite critiqués alors qu'il commentait le match sur blue Sport. Des fans servettiens se sont aussi révoltés sur les réseaux sociaux. Un exemple:
D'autres, au contraire, estiment tout à fait légitimes les sifflets du public genevois envers son attaquant. «Arrêtez un peu avec votre polémique! Guillemenot n'est pas au niveau, le public siffle, c'est la vie. Sinon, il n'a qu'à faire un job loin des projecteurs», écrit l'un d'eux. Tandis que d'autres rappellent leur droit de faire entendre leur avis depuis les tribunes, et donc de siffler.
Dans tous les cas, ceux qui ont houspillé le numéro 21 grenat à sa sortie prennent un risque: celui de briser un footballeur, qui n'est déjà pas en confiance. Des joueurs qui ont vécu la même humiliation ont raconté les dégâts qu'elle leur avait causés. «Les gens ne se rendent pas compte du mal qu'ils font», s'émouvait Patrick Revelli dans L'Equipe en 2022. Quarante ans après, l'ex-attaquant de Saint-Etienne se souvenait d'un moment particulièrement traumatisant pour lui et ses proches:
Et forcément, pour un footballeur déjà en manque de confiance, se faire siffler par son propre public a de quoi le faire encore plus cogiter et lui faire perdre totalement son jeu (surtout pour un attaquant, qui doit oser tenter pour créer des différences). Au final, c'est toute l'équipe qui en souffre. L'ancien attaquant Daniel Bravo, sifflé lors de son passage au PSG (1989-1996), témoigne également dans L'Equipe:
Le risque d'être démonté psychologiquement est encore plus grand aujourd'hui, avec les réseaux sociaux. On espère pour Jérémy Guillemenot qu'il n'est pas allé lire tous les commentaires le concernant sur X, où certains internautes l'attaquent violemment, y compris sur son physique...
Pour rebooster leur moral et leur confiance, les victimes ont parfois la chance d'avoir le soutien de coéquipiers particulièrement solidaires et d'un coach fin psychologue. C'est le cas de Jérémy Guillemenot. Dimanche, les joueurs servettiens ne sont exceptionnellement pas allés saluer leur public, en signe de solidarité avec leur collègue, comme l'a expliqué le capitaine Steve Rouiller.
De son côté, l'entraîneur Thomas Häberli a eu des mots réconfortants pour son joueur, tout en se montrant diplomate avec les fans qui l'ont sifflé:
Certains footballeurs dotés d'un très fort caractère ont aussi raconté qu'avoir été chahuté par leurs fans leur a permis de se sublimer, grâce à un esprit de revanche. Mais cette méthode brutale et à double tranchant n'est sans doute pas préconisée par les psys...
La scène de dimanche semble avoir affecté, d'une manière ou d'une autre, Jérémy Guillemenot. Lundi, le Servettien a posté une story Instagram représentant un personnage songeur – avec une bulle de BD contenant comme seul message un point d'interrogation – face à un drapeau du club grenat.