Jil Teichmann est née le 15 juillet 1997 à Barcelone, où elle a passé les quatorze premières années de sa vie. Ses parents sont originaires du canton de Zurich et, hormis un faible pour les spätzli au jamòn, ils n'avaient aucun lien avec l'Espagne, dont ils ne parlaient même pas la langue. C'est en y passant leur lune de miel qu'ils ont décidé de rester. Formulé autrement: ils sont tombés sous le charme et ne s'en sont jamais relevés.
En vrais amateurs de tennis, Regula et Jacques se sont inscrits au club du coin. Ils ont placé Jil et Raul, son petit frère, à l'école suisse. «Mes premiers mots furent suisse allemand», jure Jil dans Bolero.
De 14 à 17 ans, elle a intégré le programme sport-étude de Swiss-Tennis, à Bienne (BE). Mais elle a beaucoup voyagé (déjà, encore), brinquebalée sur le circuit juniors dont, au mieux de sa forme, elle a occupé la troisième place mondiale.
Promis-craché, elle a tout aimé de son séjour seelandais, tout pris de cette culture suisse qui la rend si «stramm», «le chocolat, les montagnes et les montres les pâtés à la viande», sans oublier les «spätzli de mommy», rappelle-t-elle au Blick. Reste qu'à 17 ans, elle a planté ses parents à Bienne pour retourner à Barcelone.
Sur un court, elle arbore une espèce de furia, une véhémence animale forgée dans les nuits fauves de Catalogne. «Pas du tout», nous a-t-elle corrigé un jour. «Je tiens ce tempérament de mon père. Et il vient de Dübendorf (ZH).»
Elle maîtrise parfaitement le suisse allemand et l'espagnol, parle couramment le français et l'anglais, et peut tenir une conversation en catalan et en italien. Quand les aliens arriveront, c'est elle qui fera l'allocution de bienvenue. «Mais à la maison, nous parlions toujours le suisse allemand, c'est ma langue maternelle», insiste-t-elle à longueur d'interviews.
Ce n'est pas un hasard si les surfaces lentes, a priori, conviennent mieux à son tennis: Jil Teichmann a appris le dur travail de la terre, la patience et le savoir-faire, dans les arrières courts ocres de Barcelone, où elle collabore aujourd'hui avec Alberto Martin.
Mais jeudi dernier, profitant de ses exploits sur le «ciment» de Cincinnati, elle a tenu à rectifier (avec le tempérament de Dübendorf): «Je n'ai jamais compris pourquoi les gens disaient que j'étais une joueuse de terre battue. J'ai toujours eu l'impression que je pouvais bien bouger et bien jouer partout. Je suppose que mon style a l'air plus naturel sur terre parce que j'y ai grandi. Mais je trouve que mon service, par exemple, est bien meilleur sur dur». Mais très certainement...
Elle est gauchère, avec une vraie patte de gauchère: technique, esthétique, erratique. Elle a un bon service, une bonne lecture du jeu, une bonne faculté d'adaptation. Ce profil complet a séduit jusqu'au coach Jean-René Lisnard, qui nous glissait à l'US Open 2019: «Son tennis est très beau, nettement meilleur que son classement (WTA 76). En fait, Jil joue comme un garçon, avec beaucoup de main».
Heinz Günthardt, son capitaine de Fed Cup, n'était pas loin de partager cet enthousiasme: «Jil a un gros potentiel, qu'elle n'a pas encore pleinement exploité. Elle est quatre mois plus âgée que Belinda Bencic, mais son parcours est plus linéaire, plus régulier». Jusqu'à ce samedi dans les hauteurs de Cincinnati, où elle affronte Karolina Pliskova en demi-finale.
Dans ses grands moments d'égarement, elle peut perdre ses nerfs et plusieurs jeux d'affilée. Jean-René Lisnard a remarqué, lui aussi: «Avec elle, le problème vient plutôt de la tête. On a beau assimiler les gestes et les mécanismes de son jeu, tout part toujours de l’ordinateur central…».