Il l'a promis, Eric Cantona somnolera devant Columbo tous les soirs pour désapprouver la tenue de la prochaine Coupe du monde au Qatar.
Les grandes mairies font la queue pour annoncer haut et tard l'absence de fan zones sur leurs trottoirs. Plus de la moitié de l'humanité se dit prête à brider toute tentation d'allumer la télé (si l'on en croit les sondages). Les autres affirment, au contraire, trépigner d'impatience pour raconter, révéler, dénoncer, condamner. Dès le coup d'envoi et entre deux débordements (sur la droite et aux abords des stades).
Magouilles en loucedé, dignité humaine piétinée, ouvriers enterrés, dirigeants épinglés, air conditionné. Nul besoin de soulever le tapis très haut pour trouver de quoi s'insurger. Depuis quelques semaines, l'Occident vide son sac, se douche de tout soupçon et s'excommunie d'un coup sec de la grande fête du football. Pas question d'avoir la morale à zéro, encore moins du sang sur le rebord de sa bière sans alcool.
Un Qatar cathartique, c'est de bon aloi. Idéal pour un sommeil sain et profond. D'autant que personne n'a la gâchette assez facile pour s'abîmer le pied, en défendant l'indéfendable sans baisser les yeux. Pas même ceux qui se sont laissés graisser la patte au passage.
«Responsable, mais pas coupable», disait le meilleur des Inconnus, dans une parodie drolatique de la ministre française Georgina Dufoix, coincée entre deux feux, à l'époque du scandale du sang contaminé.
On en est là. Quiconque ressent le devoir pressant de boycotter la Coupe du monde n'y est pour rien. Ce n'est pas la concierge du rez-de-chaussée qui a shooté le ballon dans les bras qataris. Aucun internaute courroucé n’a été le contremaître du moindre chantier. Soutenir la Nati qui perd dans un stade tempéré, ne signifie pas encourager la lapidation.
Osons une hypothèse un peu tirée par le maillot. Le premier match de qualification n'a-t-il pas tout pour épouser la belle courbe d'audience de Dahmer sur Netflix? Jeffrey et le Qatar ont tué en série, l'horreur fascine et bouffer des chips devant l'indicible répond toujours à une faim irréaliste de comprendre. Précisément parce que nous ne sommes responsables de rien.
C’est d’ailleurs souvent après une bonne journée d'indignation théorique qu’on a besoin de se délester de cette bonne conscience, comme une chemise stricte et cintrée qui finit dans le bac à linge sale.
Car si l'argent ne fait pas toujours le bonheur, lui seul fera le boycott. Or, à moins d'un bon milliard de téléspectateurs véritablement abstinents le 20 novembre prochain, nous risquons d'être une cargaison de nouveaux curieux à somnoler devant Qatar-Equateur. Comme Cantona devant Columbo.
Juste pour s'assurer, la boule et les chips au ventre, qu'aucun ouvrier ne tombe du toit durant la première mi-temps.