Est-il opportun pour une marque de s'afficher au Mondial 2022? Les controverses à répétition ont de quoi rebuter sponsors et diffuseurs mais la plupart honoreront leurs coûteux contrats au Qatar, quitte à opter pour un «accompagnement critique» du rendez-vous planétaire.
Pour rassembler des milliards de téléspectateurs (1,12 milliard pour la seule finale de 2018, selon la FIFA), la Coupe du monde attire tous les quatre ans les marques en quête d'audience mondiale, qu'elles soient partenaires de la compétition ou des équipes nationales participantes.
Sauf que l'édition 2022 au Qatar est cernée par les polémiques depuis l'attribution de l'organisation au petit émirat du Golfe en 2010, entre désastre écologique avec sept stades flambants neufs et climatisés, oppression des femmes et des minorités LGBT, abus sur des ouvriers chargés de construire les infrastructures...
«L'objectif des marques, en faisant du sponsoring, n'est certainement pas d'être associé à des choses perçues comme négatives ou problématiques», relève Magali Tézenas du Montcel, directrice générale de Sporsora, association regroupant les acteurs de l'économie du sport en France (annonceurs, diffuseurs...). Pour elle, «les marques ne peuvent plus du tout faire l'économie d'être engagées sur ces sujets-là».
Récemment, trois organisations de défense des droits humains ont appelé les sponsors du Mondial à soutenir leur campagne pour l'indemnisation par la FIFA et le Qatar des ouvriers ayant travaillé sur les chantiers de la compétition, déplorant des abus et des salaires non payés.
Doha, de son côté, estime certaines de ces critiques injustes et met en avant les réformes engagées sur le marché du travail. De nombreuses personnalités qataries ont fermement démenti le chiffre de 6500 travailleurs migrants morts sur les chantiers de construction des stades, information rapportée par le Guardian qui cite des chaleurs extrêmes, des chutes, des insuffisances cardiaques, des déshydratations et des horaires digne de l'esclavagisme moderne.
A l'approche du Mondial, les postures s'avèrent plus ou moins radicales selon les marques et les pays, du boycott tranché à la participation sans réserve, en passant par des positions intermédiaires, comme une communication en mode mineur pendant le tournoi.
Les marques brésiliennes Vivo et Itau, elles, accompagneront pleinement la Seleçao au Qatar: au pays du football roi, l'opérateur télécom Vivo fait valoir qu'il n'a «aucune influence» sur le choix du pays hôte et se pose en «marque plurielle et inclusive», dans une réponse transmise à l'AFP.
A l'inverse, au Danemark, seul pays nordique qualifié, les maillots d'entraînement de la sélection afficheront des «messages critiques», deux sponsors (Danske Spil et Arbejdernes Landsbank) ayant accepté que ces messages remplacent leur logo.
Signe d'un certain malaise généralisé, plusieurs fédérations de football travaillent leur communication et leur image auprès du grand public comme des instances politiques. L'Association suisse de football (ASF) souhaite, elle aussi, faire passer son message auprès des élus. Elle a invité plusieurs parlementaires à une rencontre pour évoquer la question des droit humains au Qatar, mais aussi les objectifs et la «responsabilité sociale» de l'équipe de Suisse de football.
Le sponsor principal de la Nati est plus discret - mais Credit Suisse a bien d'autres soucis en ce moment... Dans la plupart des cas, de coûteux contrats à long terme existent déjà. Et les campagnes de communication autour du Mondial ont débuté voilà plusieurs mois, rappelle Gary Tribou, professeur en marketing du sport à l'université de Strasbourg, ce qui rend illusoire un boycott de dernière minute.
«Ce qui peut être envisageable, c'est que l'activation en cours d'évènement soit revue (à la baisse), au niveau de sa tonalité», note ce chercheur. «Un boycott médiatique ne serait pas efficace», confirme l'opérateur allemand Telekom, qui est à la fois sponsor de la sélection nationale et diffuseur du Mondial, via sa filiale Magenta TV. L'entreprise préfère miser sur un «accompagnement critique du tournoi», avec par exemple la diffusion de reportages sur «les conditions de travail des travailleurs immigrés».
De même, le géant américain Coca-Cola, sponsor majeur de la Coupe du monde, a publié un long communiqué en mai pour défendre sa présence au Qatar, en disant faire pression sur la FIFA pour contribuer à «des réformes significatives pour améliorer les droits des travailleurs migrants».
«Les marques ont un vrai rôle à jouer auprès des détenteurs de droits sportifs pour les faire évoluer et avoir des exigences», souligne Magali Tézenas du Montcel, par exemple en veillant au critère des droits humains au moment de l'attribution des compétitions.
Et si le risque du «bad buzz» (mauvaise publicité incontrôlable) est toujours possible en cours de tournoi, l'expérience prouve souvent que les supporters ont la mémoire sélective, comme dans le cas de l'horloger Festina, qui avait augmenté sa notoriété malgré le scandale de dopage sur le Tour de France 1998.
«Le scandale s'évapore vite dans l'esprit des gens», relève Gary Tribou, qui pointe toutefois un risque: celui d'audiences décevantes pour le tournoi en cas de boycott massif des supporters-consommateurs.
Mais les diffuseurs interrogés assurent que le marché publicitaire autour du Mondial reste robuste: «Nous avons enregistré jusqu'à présent une forte demande, comparable à celle de la Coupe du monde 2018 et à un niveau de prix similaire», note la chaîne allemande ARD, tandis que son homologue britannique ITV parle d'une «demande forte». (chd/ats/afp)