A Zurich vendredi matin, Muriel Furrer se trouvait toujours dans un état «très critique», suite à sa chute la veille dans des circonstances encore floues – chute ayant provoqué un grave traumatisme crânien et obligé les médecins à opérer la jeune cycliste. Régnait donc un climat d'inquiétude, semblable à celui rencontré à Coire en juin 2023, au lendemain de l'accident de Gino Mäder sur le Tour de Suisse.
Les épreuves maintenues, en concertation avec la famille de Muriel Furrer, le sportif a logiquement été relégué au second plan. Preuve de cette situation exceptionnelle, les para-cyclistes ont été privés de zone mixte et Swiss Cycling a cessé toute communication officielle.
Le départ de la course espoirs hommes – toujours très explosive – a néanmoins été donné peu après midi, comme initialement prévu. Là, le sport a véritablement repris ses droits, les coureurs ayant livré un combat intense dès les premiers kilomètres de ce Mondial.
Or le couperet est tombé en plein durant l'épreuve. Il n'était pas encore 15h lorsque le décès de Muriel Furrer a été communiqué. La nouvelle tant redoutée a provoqué un silence dans l'aire d'arrivée non loin de l'Utoquai de Zurich. Le speaker s'est tu et les coureurs ont franchi sans bruit la ligne pour la seconde fois de la journée, alors que la Sechslaütenplatz grouillait pourtant de monde. Peut-être venaient-ils de comprendre eux qui, lors de cette course, n'étaient pas équipés de l'oreillette, et qui, s'ils l'avaient eue, n'auraient sans doute pas été avertis par leur direction sportive.
L'épreuve s'est poursuivie sous la pluie et un ciel encore plus assombri. Dans ce décor apocalyptique, une lueur est venue du Suisse Jan Christen. Ramené par ses équipiers à l'avant, il a attaqué à 50 kilomètres de l'arrivée et s'est lancé dans un baroud solitaire. Pour nous, suiveurs, ceci avait tout l'air d'un hommage à sa compatriote.
L'Argovien a distancé ses poursuivants et n'a pas semblé fléchir à mesure que les kilomètres défilaient. Il a mis à profit sa connaissance du terrain et sa giclette pour creuser les écarts. On pensait que son numéro façon Pogacar pouvait aller au bout.
Or le groupe de poursuivants est revenu sous l'impulsion du Belge Jarno Widar et le coureur de la formation UAE Team Emirates, moins fringant, a été revu à 10 kilomètres du but. Jan Christen s'est finalement contenté de la médaille en chocolat. Il était pourtant l'homme le plus fort vendredi, et de loin. Nous aurions en temps normal reconnu son panache et son cyclisme décomplexé, mais vivement attaqué sa stratégie. S'il avait attendu l'Italien Giulio Pellizzari pour collaborer avec lui ou avait retardé d'un tour son offensive, Christen serait aujourd'hui champion du monde espoirs de cyclisme sur route. Or tout cela a semblé futile après la perte d'une championne en devenir.
L'heure était à l'hommage. Le visage de Muriel Furrer est apparu sur l'écran géant jouxtant le podium et une minute de silence a été respectée en marge de la cérémonie protocolaire, organisée en l'honneur du vainqueur du jour: l’Allemand Niklas Behrens.
La course terminée, une conférence de presse – prévue à 17h, mais retardée de quelques minutes – a achevé cette journée dramatique pour le cyclisme suisse et international. Peter van den Abeele, directeur des sports à l'Union cycliste internationale (UCI) et Olivier Senn, manager général du comité d'organisation des Mondiaux de Zurich, ont pris place au centre de presse. Ils ont exprimé leur tristesse et demandé une minute de silence.
Les deux hommes ont ensuite rappelé que les Championnats du monde se poursuivaient, à la demande de la famille. Les drapeaux sont néanmoins en berne et les festivités extra-sportives – notamment un gala prévu samedi soir – sont annulées. Peter van den Abeele et Olivier Senn sont restés évasifs concernant les circonstances de l'accident et s'en sont remis à l'enquête en cours des autorités locales. Il restait en fin de journée de nombreuses interrogations au sujet de la chute de la Zurichoise âgée de 18 ans.
Seule certitude, la douleur est plus importante encore pour Olivier Senn, co-directeur du Tour de Suisse. Il a vécu le tragique accident de Gino Mäder il y a plus de 15 mois maintenant. «C'est désormais Muriel Furrer. Je ne peux pas nier que les pensées sont similaires», a déclaré le dirigeant, endeuillé, au terme d'une journée éprouvante.