Il a fallu attendre le 8 septembre 2024 pour qu'une anomalie du football suisse soit corrigée. Ce soir-là, face à l'Espagne en Ligue des nations (1-4), Joël Monteiro devenait le premier joueur d'origine portugaise à porter le maillot de la Nati.
Et ce alors même que les Portugais forment l'une des plus grandes communautés étrangères de Suisse (268 000 personnes en 2018), comptent beaucoup de licenciés dans le foot helvétique (18 000 en 2022, soit 6% du total) et sont un peuple féru de ballon rond.
Ce mardi à Saint-Gall (20h45), en amical contre le Luxembourg, Joël Monteiro (25 ans) sera à nouveau l'unique Helvète originaire du pays de la feijoada et du fado. Alvyn Sanches (22 ans) aurait dû être le second, mais le joyau du Lausanne-Sport s'est gravement blessé (déchirure du ligament croisé antérieur du genou), vendredi en Irlande du Nord, lors de sa première sélection.
L'attaquant du LS, qui sera éloigné des terrains plusieurs mois, est pour l'instant le seul Portugais après Monteiro à avoir été appelé avec la Nati.
Quelques rares médias ont tenté d'expliquer le paradoxe de retrouver si peu de Lusitaniens en équipe de Suisse alors qu'à première vue, toutes les conditions semblent réunies pour que la communauté portugaise – arrivée en masse dans notre pays dès les années 1980 – forme un vivier.
So Foot met en avant une intégration moins forte de la diaspora lusitanienne en Suisse par rapport à d'autres communautés. La raison? Cette diaspora est venue dans l'optique de travailler et, surtout, de rentrer un jour au pays. «C’est une différence majeure avec la plupart des gens qui sont arrivés en Suisse en provenance des Balkans. Ils ont fui la guerre. Le retour n’est pas une option», analyse Isabel Bartal, sociologue lusitano-suisse.
Résultat: les parents s'investissent moins dans la vie locale, y compris les clubs de foot. Cette implication moindre est aussi la conséquence d'un manque de disponibilité à cause du travail, comme le souligne Isabel Bartal:
De quoi empêcher le développement de futurs cracks. Et si les parents poussent leurs gamins vers le ballon rond, c'est principalement dans des clubs communautaires, où l'objectif de socialisation (repas, fêtes, etc.) supplante celui de «former des grands joueurs», comme l'explique Le Temps.
D'ailleurs, ce manque d'ambition pour le futebol de haut niveau se reflète dans les statistiques: en 2020, seulement onze joueurs avec le passeport portugais – trois en Super League, huit en Challenge League – évoluaient dans les deux premières divisions suisses, selon So Foot.
Et puis, en Helvétie, les compatriotes de Cristiano Ronaldo semblent privilégier la sécurité d'un job stable pour leur progéniture, un critère que ne coche pas le métier de footballeur. Nelson Ferreira (42 ans), ex-milieu emblématique du FC Thoune, dont les deux parents sont arrivés dans l'Oberland bernois depuis le pays ibérique, peut en témoigner:
Contrairement à Ferreira, qui a fait toute sa carrière en Suisse, de nombreux jeunes talents portugais nés ou établis ici tentent leur chance dans leur pays d'origine. Emanuel Mendes Carvalho, directeur sportif du Benfica Clube à Zurich (quatrième ligue), précisait en 2022 que dans les années 2010, au moins une dizaine de juniors de son club étaient partis faire des tests dans les grandes écuries lusitaniennes.
Les pépites Eder Januario Iria (18 ans, Servette) et Diogo Monteiro (20 ans, Leeds), toutes deux nées à Genève, ont par exemple choisi de représenter le Portugal dans les sélections juniors.
«Mais les choses ont changé. La communauté portugaise de Suisse est désormais plus jeune, plus urbaine, mieux formée, plus intégrée. En football, les meilleurs jeunes vont rapidement à Servette ou au Lausanne-Sport», résume Le Temps. Sans compter que la Nati, avec ses progrès et ses belles performances dans les grands tournois ces vingt dernières années, est devenue bien plus attirante.
C'est certain, les pionniers Joël Monteiro et Alvyn Sanches ne seront pas les derniers footballeurs au passeport portugais à jouer pour l'équipe de Suisse.