Le club français préféré des Jurassiens n'est pas mort
Ces derniers jours, le FC Sochaux-Montbéliard affichait sur ses réseaux sa satisfaction devant les chiffres de sa billetterie: 14 000 puis 15 000 tickets «déjà vendus», assurait le club franc-comtois, avant d’accueillir Dijon vendredi en National, le troisième échelon du foot français.
Apprécié des Jurassiens
Sous une publication officielle, un commentaire interpelle: «les Jurassiens suisses aiment Sochaux».
Preuve de cet attachement, Le Quotidien Jurassien traite régulièrement les performances du FCSM dans sa rubrique sport régional, alors que le club frôle aujourd’hui le niveau amateur. En marche pour le stade Bonal, nous apercevons également une voiture immatriculée dans le Jura: non pas un «39» propre au département français, mais bien le sigle du canton.
La proximité géographique et territoriale explique l’intérêt des Jurassiens pour les Lionceaux. Les infrastructures sochaliennes se situent à moins de 20 kilomètres à vol d’oiseau de la frontière et à seulement 30 minutes de route de Porrentruy. Quand le FC Sochaux-Montbéliard jouait en Ligue 1, il assurait chaque année la venue de Marseille ou Paris non loin de la Suisse.
Mais si Sochaux est apprécié, dans le canton du Jura comme partout en France, c’est aussi parce que c’est un club familial, attaché à la formation et éloigné du foot business. Une formation historique, longtemps reconnue pour avoir disputé le plus grand nombre de saisons en première division française. Un club populaire, avec une âme: celle de ses premiers supporters, les ouvriers des usines Peugeot.
Un froid de canard
Plus de dix ans après le dernier match du FCSM dans l’élite, ces supporters n'ont aucunement abandonné leur club, et ce, malgré une gestion administrative chaotique et deux relégations. Si bien qu'en ce soir de novembre, tout évoque encore les années Ligue 1.
La foule nombreuse avance vers Bonal. Elle chemine le long des rails qui conduisent aux usines du fleuron français de l'automobile, situées à proximité de l'enceinte. Le mercure affiche zéro degré avant de plonger définitivement dans le négatif. Dans ce froid de canard, un souvenir remonte: celui des entraîneurs de première division qui, à l’annonce du calendrier, scrutaient avec attention la date de leur déplacement à Sochaux. Se rendre dans le Doubs en plein hiver relevait du traquenard.
Les premières neiges tombées la veille ont disparu. Néanmoins, les flocons glacent les spectateurs en tribunes. Le FCSM célèbre son équipe demi-finaliste de la Coupe de l’UEFA au début des années 1980, qui avait notamment éliminé Servette et Grasshopper. Les exploits de Bernard Genghini et de ses coéquipiers défilent sur les écrans géants du stade. On y découvre un match contre l’Eintracht Francfort, disputé sur une pelouse entièrement recouverte de neige.
L'affluence des grands soirs
Bonal tarde à se remplir. L'enceinte est encore clairsemée quand l’hymne du club retentit, juste avant un spectacle pyrotechnique. Le coup d’envoi, un vendredi à 19h30, y contribue largement, comme le souligne la banderole des supporters visiteurs: «Le foot, c’est le week-end».
Mais une fois la partie lancée, le stade apparaît bel et bien comble. Seuls le secteur visiteur et la section qui le surplombe, restée fermée, laissent transparaître des sièges vides. 18 171 spectateurs ont répondu présents pour ce choc de la 13e journée de National entre Sochaux, troisième, et Dijon, deuxième avec deux points d’avance au classement. Cette rencontre apparaît déjà décisive en vue la montée, et le peuple sochalien l’a visiblement compris.
Cependant, le seul enjeu sportif n’explique pas à lui seul une telle affluence. Malgré la proximité géographique, parler de derby reste délicat tant les deux clubs ont évolué à des niveaux différents au fil de leur histoire. Ils se retrouvent néanmoins de plus en plus régulièrement en championnat, alors que les Francs-Comtois n’ont toujours pas digéré la réforme territoriale qui les a rattachés à la région Bourgogne. On peut y voir une rivalité.
Mais même sans la venue de Dijon, le FC Sochaux-Montbéliard attire les foules en troisième division, avec des chiffres qui feraient pâlir bien des clubs de Ligue 2 et de Super League. Il a terminé en tête du classement des affluences de National ces deux dernières saisons, avec une moyenne de plus de 10 500 spectateurs, un chiffre supérieur à celui de huit de ses neuf précédents exercices dans l’antichambre de l’élite.
𝟏𝟖𝟏𝟕𝟏 supporters. 𝐄𝐗𝐂𝐄𝐏𝐓𝐈𝐎𝐍𝐍𝐄𝐋 💛💙#FCSMDFCO pic.twitter.com/bPrx1UckMz
— FC Sochaux-Montbéliard (@FCSM_officiel) November 21, 2025
Gestion calamiteuse
Le constat est limpide: avoir frôlé la faillite et la disparition a uni toute une région derrière son club.
Aux débuts des années 2010, Peugeot, touché par la crise financière, diminue progressivement son soutien au FCSM. Le désengagement devient total en 2015, suite à la relégation des Lionceaux en Ligue 2. Le club est alors cédé à Ledus dans le cadre d’un repositionnement marketing. C'est le début de la descente aux enfers.
Le nouveau propriétaire chinois, ignorant tout du sport professionnel, débarque dans le Doubs pour y faire des affaires plutôt que pour redonner vie à cette institution du football français. Le projet de retour en Ligue 1, porté par le Suisse Ilja Kaenzig, nommé directeur général, n’avance pas, et Sochaux passe un temps sous le giron de Baskonia, devenant ainsi une équipe satellite, un comble pour un club reconnu pour l’excellence de son centre de formation.
Le nouvel actionnaire, un certain «Monsieur Li», est déclaré plus tard en faillite personnelle dans son pays, ce qui l’oblige à vendre le FCSM. En 2019, un nouvel acteur chinois entre alors dans la danse: Nenking Group, qui injecte les quatre millions d’euros exigés par le gendarme financier du football français.
La joie est cependant de courte durée, malgré les bons résultats des hommes d’Omar Daf, de retour dans le haut du tableau en Ligue 2. La stratégie du FCSM, orchestrée par son nouveau directeur général, Samuel Laurent, entraîne peu à peu le club vers des lendemains difficiles. Sochaux vise une montée rapide dans l’élite et se comporte comme s’il disposait déjà des finances d’une écurie de Ligue 1, espérant combler son déficit par une accession. Or celle-ci n’interviendra pas, et Nenking, frappé par la crise de l’immobilier en Chine, n'est soudain plus en mesure d'éponger les pertes. Le FC Sochaux-Montbéliard est relégué administrativement en National et la menace d'une faillite générale plane.
C’est alors que l’ancien président emblématique des Lionceaux, Jean-Claude Plessis, se mobilise pour sauver le club. Il parvient à fédérer des investisseurs privés régionaux, tandis que les supporters entrent au capital selon le principe des socios. Sochaux est sauvé.
La triste réalité du National
Des supporters qui ont leur club dans la peau, qui ont cru le voir disparaitre et se sont battus pour le maintenir à flot: pas étonnant que Bonal vibre encore, même en troisième division.
Pourtant, ce vendredi soir contre Dijon, les spectateurs n’ont rien à se mettre sous la dent. Le spectacle proposé sur le terrain est d’une grande pauvreté: passes dans le dos, rythme poussif et finition approximative. Le froid mordant n’aide évidemment pas les 22 acteurs à élever leur niveau de jeu.
Emmené par le vétéran Julio Tavares, ancien de Ligue 1 et de Saudi Pro League, redoutable sur les ballons longs, le DFCO a globalement la mainmise sur le match. Sochaux opère néanmoins en contre et finit par se créer les meilleures occasions.
Bonal n’a jamais été réputé pour son ambiance survoltée, même en Ligue 1, son kop restant relativement calme. Cependant, à chaque fois que le FCSM a l’opportunité de relancer, c’est tout un stade qui encourage massivement son équipe.
Dijon finit par ouvrir le score à la 87e minute grâce à Jordan Marié, auteur d’une demi-volée puissante à l’entrée de la surface, venue se loger sous la barre. Le vent qui souffle dans les travées devient soudain encore plus glacial. Le FCSM pousse pour égaliser, mais les nombreuses approximations l’empêchent de se créer une occasion franche. Désabusé, le public n’attend plus qu’une chose: que l’arbitre mette fin à ce calvaire et renvoie tout le monde au chaud. Après tout, les orteils menacent de succomber. Tout le contraire du FCSM qui, malgré la défaite dans ce choc de haut de tableau et les difficultés des dernières années, demeure plus que jamais vivant.
