Sport
Football

Foot suisse: pourquoi un Röstigraben chez les coachs?

Marco Schällibaum (ex-Yverdon, à gauche) et Thomas Häberli (Servette), deux Alémaniques qui ont tenté l'aventure romande.
Marco Schällibaum (ex-Yverdon, à gauche) et Thomas Häberli (Servette), deux Alémaniques qui ont tenté l'aventure romande.image: keystone/shutterstock

«Un Bourbine qui entraîne un club romand comme un Bourbine? Impossible!»

Dans le foot suisse pro, un seul Alémanique est actuellement sur le banc d'une équipe romande. Idem dans le sens inverse. Ce Röstigraben s'explique.
14.01.2025, 18:47
Plus de «Sport»

Le football est un langage universel, a-t-on coutume de dire. Et pourtant, en Suisse, les coachs peinent à franchir la Sarine. Actuellement, en Super League et Challenge League combinées, un seul Romand entraîne un club alémanique (Fabio Celestini au FC Bâle). Et un seul Alémanique dirige une équipe welsche (Thomas Häberli à Servette).

Alors, bien sûr, il y a la barrière de la langue. Et ce, même si l'anglais prend une place de plus en plus importante dans les vestiaires. «Pour entraîner en Suisse allemande, un Romand doit impérativement savoir un peu l'allemand», témoigne Bernard Challandes. Le Neuchâtelois en sait quelque chose: il a notamment coaché YB et surtout le FC Zurich, qu'il a mené au titre de champion (2009).

«C'est pareil pour un Alémanique en Romandie: il doit parler français», répond Marco Schällibaum, qui a pratiqué la langue de Molière à Servette, Sion ou plus récemment Yverdon.

Les joueurs d'Yverdon celebrent la promotion en Super League avec l'entraineur yverdonnois Marco Schaellibaum, centre, lors de la rencontre de football de Challenge League entre Yverdon Spor ...
Marco Schällibaum a fêté la promotion en Super League avec Yverdon, en 2023. Image: KEYSTONE

Et ces exigences linguistiques ont augmenté en même temps que le métier d'entraîneur s'est transformé. «Aujourd'hui, un coach est surtout un manager, qui doit s'exprimer sur des sujets complexes. Il ne s'agit plus de simplement donner des consignes de foot. Alors ça demande forcément davantage de compétences linguistiques», observe Bernard Challandes.

L'obligation de bien communiquer ne se cantonne pas au vestiaire.

«Un coach doit être précis quand il parle à sa direction et surtout aux médias. Il y a déjà tellement de malentendus entre les coachs et la presse, alors il faut tout faire pour en éviter d'autres!»
Bernard Challandes

On peut en déduire qu'aujourd'hui, les entraîneurs qui franchissent la Sarine ont d'autant plus de courage de sortir de leur zone de confort. Même si les rares qui ont fait le grand saut par le passé en avaient déjà. «Pour un Romand, aller entraîner en Suisse allemande, c'est une épreuve!», résume Alain Geiger.

Alain Geiger, vorne, der neue Trainer des Grasshoppers Club Zuerich, absolviert am Dienstag, 6. Januar 2004, gemeinsam mit der Mannschaft, ein Lauftraining entlang der Limmat. Es war das erste Trainin ...
Alain Geiger (en rouge), ici coach de GC en 2004. Image: KEYSTONE

Le Valaisan a pu le constater lors de ses passages à Aarau et GC, dans les années 2000. «Quitter son bout de pays, ça nécessite une ouverture d'esprit et d'oser se confronter à quelque chose de différent de ce que l'on connaît». Même si celui qui a ramené Servette au sommet estime que «c'est un trait de caractère indispensable pour un coach», être capable de partir à l'aventure – ne serait-ce que dans l'autre moitié de la Suisse – n'est pas donné à tout le monde.

Et ensuite, il faut encore pouvoir s'adapter à la culture et à la mentalité locales. «Un Suisse-Toto qui veut faire son Suisse-Toto en Romandie, ça ne va pas le faire!», rigole le Zurichois Marco Schällibaum.

«Pour entraîner un club romand, un coach alémanique doit apprécier et épouser la manière de vivre en Romandie, qui est un peu plus easy going (moins cadrée)»
Marco Schällibaum

Alain Geiger a, lui aussi, expérimenté des différences de fonctionnement après avoir franchi le Röstigraben. «Au FC Aarau, les séances de discussion avec la direction commençaient à 7h00 du matin, car le président partait au travail ensuite. Je n'ai jamais vu ça en Suisse romande».

Discrimination positive révolue

Et puis, même au niveau de la manière de jouer, Welsches et Bourbines semblent présenter des différences insurmontables pour un entraîneur qui tenterait l'aventure «exotique». «Les Alémaniques jouent plus physique, alors que les Romands sont davantage axés sur la technique. Même moi quand je jouais, les Suisses allemands me disaient que j'étais trop dans la facilité», rigole Alain Geiger.

Mais à écouter Bernard Challandes, c'est paradoxalement la disparition de ces stéréotypes qui entrave les voyages des coachs par-dessus la Sarine:

«A l'époque, c'était même plutôt un avantage d'être un Romand pour trouver un poste en Suisse allemande. Car les Alémaniques voyaient les Welsches comme des romantiques, capables de leur amener un jeu plus léché. Cette touche welsche était recherchée. Aujourd'hui, une telle perception de l'altérité n'existe plus.»
FCZ Trainer Bernard Challandes, feiert den vorzeitigen Meistertitel 2009, nach dem Fussball Meisterschaftsspiel der Super League zwischen der AC Bellinzona und dem FC Zuerich, am Sonntag, 24. Mai 2009 ...
Bernard Challandes a eu du succès outre-Sarine, avec le sacre en Super League du FC Zurich en 2009.Image: KEYSTONE

Autrement dit, ces clichés du passé rangés, les techniciens romands ne bénéficient plus de discrimination positive. Et on peut facilement imaginer que la situation est pareille pour les Suisses allemands: les clubs romands ne voient plus forcément en eux d'indispensables entraîneurs à même d'amener de la discipline dans les rangs et du muscle dans le jeu.

Une réputation avec crampons

Le métier d'entraîneur a changé, et ceux qui l'exercent aussi. Au début du siècle, il était réservé à d'anciens joueurs, souvent célèbres. Aujourd'hui, le job s'est démocratisé, offrant des bancs à des techniciens qui ne se sont pas taillé une réputation avec des crampons (José Mourinho et plusieurs coachs portugais de haut rang, formés à l'université, en sont les meilleurs exemples).

«Moi, j'ai pu me faire un nom aussi en Suisse alémanique et apprendre l'allemand grâce à mes sélections en équipe nationale», rembobine Alain Geiger, 112 capes avec la Nati et ancien capitaine. De quoi, forcément, se constituer un CV très solide pour entraîner un jour dans l'autre partie de la Suisse. Certains de ses confrères ont profité d'une situation similaire pour coacher de part et d'autre de la Sarine, parmi lesquels: Marco Schällibaum, Murat Yakin, Ludovic Magnin ou encore Raimondo Ponte.

Lausannes Cheftrainer Ludovic Magnin reagiert waehrend dem Meisterschaftsspiel der Super League zwischen dem Grasshopper Club Zuerich und dem FC Lausanne Sport am Montag, den 1. April 2024, im Letzigr ...
Ancien international suisse et sachant l'allemand, l'actuel entraîneur de Lausanne, Ludovic Magnin, est l'un des rares Romands qui a coaché une équipe alémanique (le FC Zurich).Image: KEYSTONE

Aujourd'hui, de nombreux entraîneurs, qui n'ont pas rayonné dans le pays entier ballon au pied, n'ont plus cette opportunité de se créer une jolie carte de visite reconnue sur tout le territoire. Une nouvelle donne qui explique, en partie, le manque de mouvements entre les régions linguistiques.

Finalement, il faut aussi tenir compte du contexte actuel: il n'y a que huit clubs professionnels en Romandie (Lausanne, Servette, Sion et Yverdon en Super League; Carouge, Xamax, Nyon et Lausanne Ouchy en Challenge League). Autrement dit, pour un coach, le marché romand est très petit. D'autant plus que la moitié des postes sont occupés par des étrangers. Il est donc difficile, pour un jeune technicien welsch, d'y faire ses gammes pour, ensuite, être reconnu également outre-Sarine (les places y sont aussi très rares, d'ailleurs).

Et pour les Alémaniques, trouver un job en Romandie n'est pas chose facile. D'ailleurs, pas sûr qu'ils le veuillent tous. «Bâle, Young Boys et le FC Zurich ont dominé le foot suisse ces 20 dernières années, ce sont eux qui sont prisés par les coachs suisses allemands. A l'époque, les clubs romands, qui avaient de la gloire, faisaient davantage rêver», analyse Alain Geiger.

Servettes Trainer Alain Geiger jubelt nach dem Fussball Meisterschaftsspiel der Super League zwischen dem FC Luzern und Servette FC am Montag, 29. Mai 2023 in der Swissporarena in Luzern. (KEYSTONE/Ph ...
Alain Geiger est motivé par une nouvelle aventure en terre alémanique. Image: KEYSTONE

Après son départ du Servette FC en été 2023, le Valaisan a justement postulé au FC Bâle et à Young Boys, sans succès. Il n'en a pas eu davantage cet hiver, quand il était dans les petits papiers de Winterthour (qui a finalement nommé le Zurichois Uli Forte). Mais Alain Geiger l'assure:

«Dans ces trois cas, je n'ai absolument pas eu le sentiment d'avoir été discriminé parce que j'étais Romand»

Qu'on se rassure donc: le Röstigraben s'est peut-être creusé pour les entraîneurs de foot, mais il n'est pas infranchissable. Et si Fabio Celestini devient champion national ce printemps avec Bâle, ou Thomas Häberli avec Servette, on aura une nouvelle preuve que Welsches et Bourbines sont tout sauf incompatibles.

Plus d'articles sur le sport

22 manucures qui vont vous filer la chair de poule
1 / 24
22 manucures qui vont vous filer la chair de poule
partager sur Facebookpartager sur X
Il n'a pas besoin de ses deux jambes pour vous en mettre plein la vue
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
Qui est Violette Dorange, la benjamine du Vendée Globe qui a conquis le public?
Elle est arrivée aux Sables-d'Olonne un immense sourire aux lèvres, et dans les yeux, quelques larmes d’émotion et la fatigue de ceux qui n'ont pas dormi. Mais surtout, avec dans le cœur la joie de ceux qui n'ont rien lâché. Dimanche 9 février 2025, à 23 ans, Violette Dorange a bouclé son tout premier Vendée Globe.

La Française Violette Dorange est la plus jeune navigatrice à avoir jamais terminé ce tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance.

L’article