Le football est un langage universel, a-t-on coutume de dire. Et pourtant, en Suisse, les coachs peinent à franchir la Sarine. Actuellement, en Super League et Challenge League combinées, un seul Romand entraîne un club alémanique (Fabio Celestini au FC Bâle). Et un seul Alémanique dirige une équipe welsche (Thomas Häberli à Servette).
Alors, bien sûr, il y a la barrière de la langue. Et ce, même si l'anglais prend une place de plus en plus importante dans les vestiaires. «Pour entraîner en Suisse allemande, un Romand doit impérativement savoir un peu l'allemand», témoigne Bernard Challandes. Le Neuchâtelois en sait quelque chose: il a notamment coaché YB et surtout le FC Zurich, qu'il a mené au titre de champion (2009).
«C'est pareil pour un Alémanique en Romandie: il doit parler français», répond Marco Schällibaum, qui a pratiqué la langue de Molière à Servette, Sion ou plus récemment Yverdon.
Et ces exigences linguistiques ont augmenté en même temps que le métier d'entraîneur s'est transformé. «Aujourd'hui, un coach est surtout un manager, qui doit s'exprimer sur des sujets complexes. Il ne s'agit plus de simplement donner des consignes de foot. Alors ça demande forcément davantage de compétences linguistiques», observe Bernard Challandes.
L'obligation de bien communiquer ne se cantonne pas au vestiaire.
On peut en déduire qu'aujourd'hui, les entraîneurs qui franchissent la Sarine ont d'autant plus de courage de sortir de leur zone de confort. Même si les rares qui ont fait le grand saut par le passé en avaient déjà. «Pour un Romand, aller entraîner en Suisse allemande, c'est une épreuve!», résume Alain Geiger.
Le Valaisan a pu le constater lors de ses passages à Aarau et GC, dans les années 2000. «Quitter son bout de pays, ça nécessite une ouverture d'esprit et d'oser se confronter à quelque chose de différent de ce que l'on connaît». Même si celui qui a ramené Servette au sommet estime que «c'est un trait de caractère indispensable pour un coach», être capable de partir à l'aventure – ne serait-ce que dans l'autre moitié de la Suisse – n'est pas donné à tout le monde.
Et ensuite, il faut encore pouvoir s'adapter à la culture et à la mentalité locales. «Un Suisse-Toto qui veut faire son Suisse-Toto en Romandie, ça ne va pas le faire!», rigole le Zurichois Marco Schällibaum.
Alain Geiger a, lui aussi, expérimenté des différences de fonctionnement après avoir franchi le Röstigraben. «Au FC Aarau, les séances de discussion avec la direction commençaient à 7h00 du matin, car le président partait au travail ensuite. Je n'ai jamais vu ça en Suisse romande».
Et puis, même au niveau de la manière de jouer, Welsches et Bourbines semblent présenter des différences insurmontables pour un entraîneur qui tenterait l'aventure «exotique». «Les Alémaniques jouent plus physique, alors que les Romands sont davantage axés sur la technique. Même moi quand je jouais, les Suisses allemands me disaient que j'étais trop dans la facilité», rigole Alain Geiger.
Mais à écouter Bernard Challandes, c'est paradoxalement la disparition de ces stéréotypes qui entrave les voyages des coachs par-dessus la Sarine:
Autrement dit, ces clichés du passé rangés, les techniciens romands ne bénéficient plus de discrimination positive. Et on peut facilement imaginer que la situation est pareille pour les Suisses allemands: les clubs romands ne voient plus forcément en eux d'indispensables entraîneurs à même d'amener de la discipline dans les rangs et du muscle dans le jeu.
Le métier d'entraîneur a changé, et ceux qui l'exercent aussi. Au début du siècle, il était réservé à d'anciens joueurs, souvent célèbres. Aujourd'hui, le job s'est démocratisé, offrant des bancs à des techniciens qui ne se sont pas taillé une réputation avec des crampons (José Mourinho et plusieurs coachs portugais de haut rang, formés à l'université, en sont les meilleurs exemples).
«Moi, j'ai pu me faire un nom aussi en Suisse alémanique et apprendre l'allemand grâce à mes sélections en équipe nationale», rembobine Alain Geiger, 112 capes avec la Nati et ancien capitaine. De quoi, forcément, se constituer un CV très solide pour entraîner un jour dans l'autre partie de la Suisse. Certains de ses confrères ont profité d'une situation similaire pour coacher de part et d'autre de la Sarine, parmi lesquels: Marco Schällibaum, Murat Yakin, Ludovic Magnin ou encore Raimondo Ponte.
Aujourd'hui, de nombreux entraîneurs, qui n'ont pas rayonné dans le pays entier ballon au pied, n'ont plus cette opportunité de se créer une jolie carte de visite reconnue sur tout le territoire. Une nouvelle donne qui explique, en partie, le manque de mouvements entre les régions linguistiques.
Finalement, il faut aussi tenir compte du contexte actuel: il n'y a que huit clubs professionnels en Romandie (Lausanne, Servette, Sion et Yverdon en Super League; Carouge, Xamax, Nyon et Lausanne Ouchy en Challenge League). Autrement dit, pour un coach, le marché romand est très petit. D'autant plus que la moitié des postes sont occupés par des étrangers. Il est donc difficile, pour un jeune technicien welsch, d'y faire ses gammes pour, ensuite, être reconnu également outre-Sarine (les places y sont aussi très rares, d'ailleurs).
Et pour les Alémaniques, trouver un job en Romandie n'est pas chose facile. D'ailleurs, pas sûr qu'ils le veuillent tous. «Bâle, Young Boys et le FC Zurich ont dominé le foot suisse ces 20 dernières années, ce sont eux qui sont prisés par les coachs suisses allemands. A l'époque, les clubs romands, qui avaient de la gloire, faisaient davantage rêver», analyse Alain Geiger.
Après son départ du Servette FC en été 2023, le Valaisan a justement postulé au FC Bâle et à Young Boys, sans succès. Il n'en a pas eu davantage cet hiver, quand il était dans les petits papiers de Winterthour (qui a finalement nommé le Zurichois Uli Forte). Mais Alain Geiger l'assure:
Qu'on se rassure donc: le Röstigraben s'est peut-être creusé pour les entraîneurs de foot, mais il n'est pas infranchissable. Et si Fabio Celestini devient champion national ce printemps avec Bâle, ou Thomas Häberli avec Servette, on aura une nouvelle preuve que Welsches et Bourbines sont tout sauf incompatibles.