Le baron Pierre de Coubertin aimait à répéter que l'important est de participer, mais son message ne s'adressait pas aux femmes. Car il disait aussi, le gaillard, qu'«une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter, incorrecte», selon son allocution de 1912, dans laquelle il réaffirmait les valeurs étalons du monde civilisé: «Faire intervenir ici le principe de l’égalité théorique des sexes, ce serait se livrer à une manifestation platonique dépourvue de sens et de portée.»
Cent ans plus tard, on imagine aisément la portée de tels propos, la révolte du peuple woke prenant son clavier à deux mains, le siège du CIO assiégé par des femmes top less, brandissant des rimes vengeresses (du style «Bach-barre») et oeuvrant à la décapitation des têtes pensantes - mais on s'égare... Reste que l'aristocratie phallocratique conserve de solides bastions dans le sport.
L'agence de presse ISNA affirme qu'«environ 2000 femmes iraniennes, toutes détentrices de billets pour le match Iran-Liban de mardi, étaient présentes dans le périmètre du stade Imam Reza, mais n'ont pas pu y entrer». Un gouverneur a expliqué qu'il y avait trop de spectateurs et que «tous (réd: toutes) n'ont malheureusement pas pu entrer dans le stade». Ces sornettes ont fortement déplu à la FIFA:
Ces progrès datent plus précisément d'octobre 2019 et du premier match organisé en Iran avec une présence féminine admise et encadrée. Pendant quarante ans, des supportrices ont vécu le football dans la clandestinité, à renforts de déguisements et de complicités plus ou moins sûres, ce qui a inspiré ce film magnifique de Jafar Panahi:
Certes, la vente de billets aux femmes reste limitée à 2000 unités et l'accès aux gradins n'est possible que par une entrée spéciale, sous la surveillance de policières en tchador. Mais du moment que le progrès est en marche, peu importe que ce soit dans un couloir grillagé.
Le pouvoir religieux est le dépositaire de ces décisions. Il prétend protéger les femmes de l'atmosphère testostéronée du football et des tenues suggestives de ses pratiquants, au cas où elles songeraient à s'évanouir devant une estafette de sportifs en cuissettes.
C'est le dernier bastion masculin aux JO: la lutte ne mélange pas les genres et continue d'organiser son activité en trois catégories distinctes: la lutte gréco-romaine, la lutte libre et la lutte féminine. «La version féminine est une forme de lutte libre adaptée aux spécificités physiologiques et morphologiques des femmes. Le règlement est par conséquent légèrement différent», explique la Fédération française dans Ouest-France.
Précisons tout de même qu'il subsiste deux bastions féminins aux JO: la natation synchronisée et la gymnastique rythmique. Les hommes y sont considérés à leur tour comme inintéressants et inesthétiques.
Le sport féminin, poussé par un élan de solidarité unisexe, est en passe de vaincre les dernières résistances. Pour la première fois aux Jeux de Tokyo 2020, il y a eu du canoë féminin au programme. La discipline restait interdite pour des raisons de santé, à cause des torsions qu'elle impose au bassin et au risque de complications, voire de fausse couche, qu'elle faisait courir aux éventuelles mamans potentielles. Cent ans après les hommes, le CIO a estimé que les femmes étaient maintenant assez grandes pour décider toutes seules.
Le golf a cédé, lui aussi. Après un dernier baroud d'honneur du Golf Royal St Georges, où un panneau indiquant «ni chiens ni femmes» a trôné devant l'entrée jusqu'en 2015, ces dames ont obtenu le droit de jouer (ne serait-ce qu'entre elles) et même de concourir. Les Ecossais ont créé le golf et ils auraient bien voulu que Dieu en fasse autant: Golf est l'acronyme de «Gentlemen Only, Ladies Forbidden».
C’était il y a seulement huit ans, aux Jeux de Sotchi: pour la première fois de l'histoire, le CIO a organisé un concours de saut à ski féminin. Pourquoi si tard? Parce qu'il faut du cran pour se catapulter dans les airs, et que les connaissances anatomiques de certains dirigeants semblaient considérer que les femmes n'en avaient pas assez. D'autres experts ont suggéré que la décharge d'adrénaline pouvait les rendre stériles.
➡️ Course à pieds: depuis quelques années, les femmes sont majoritaires à la Course de l'Escalade. Jusqu’en 1973, elles n'étaient même pas autorisées à s'aventurer en dehors des pistes d’athlétisme. Kathrine Switzer qui, en 1967, s'est inscrite au marathon de Boston sous le nom de son mari, y a été pourchassée par un homme qui couinait et gigotait dans son sillage: «Dégage de ma course et rends-moi ton dossard!» Kathrine Switzer est allée au bout de son combat et du marathon. Elle est devenue une icône de l'obsession égalitaire.
➡️ Boxe: le sport à la mode des Suissesses. Il a fallu attendre 2001 pour voir apparaître les premiers championnats du monde amateurs féminins. Même les combats de coq n'étaient pas aussi durement réprouvés.
➡️ Le football, enfin: lente mais inexorable avancée de la dextérité féminine, jusqu'à un réel essor économique. Lente mais puissante si on la mesure sur un siècle, à l'aune des événements récents (record d'affluence mercredi pour Real-Barça en Ligue des champions avec 91 553 spectateurs) et des propos tenus en 1925 par Henri Desgranges, fondateur du Tour de France: «Que les jeunes filles fassent du sport entre elles, dans un terrain rigoureusement clos, inaccessible au public: oui, d’accord. Mais qu’elles se donnent en spectacle, à certains jours de fêtes, où sera convié le public, qu’elles osent même courir après un ballon dans une prairie qui n’est pas entourée de murs épais, voilà qui est intolérable!» Il ne risquait pas de se fâcher avec le baron.