Joel Wicki est le nouveau héros du sport suisse. Mais quel est son potentiel marketing par rapport à la star du ski Marco Odermatt ou à la figure de proue de l'athlétisme Simon Ehammer? L'intérêt de cette question réside aussi dans le fait que tous trois ont le même manager, Michael Schiendorfer.
Après un triomphe sportif, la question suivante se pose aussitôt: «Qu'est-ce que ça va rapporter sur le marché publicitaire?»
La lutte est le seul sport dont le volume publicitaire mondial est officiellement connu et peut être consulté dans les comptes annuels de l'Association fédérale de lutte suisse. C'est dû au fait que tous les lutteurs doivent remettre leurs contrats publicitaires au directeur de l'association, Rolf Gasser, et verser à l'association un «impôt sur la richesse» de 10% de leurs recettes. En 2021, cet impôt représentait exactement 218 440 francs et 52 centimes. Soit un total de 2,184 millions de recettes publicitaires, réparti entre 73 lutteurs. En moyenne, ça fait environ 30'000 francs par homme.
Si l'on estime maintenant que les dix meilleurs se partagent 80% de ces revenus, ils encaissent 1,60 million. On peut donc en déduire, même sans être mathématicien, que Joel Wicki est encore loin d'être millionnaire et que ses recettes publicitaires ne devaient même pas atteindre 500'000 francs avant son accession au trône. Il est désormais roi: la prochaine étape sera-t-elle de devenir millionnaire?
Il faut poser la question à Michael Schiendorfer. Il représente les intérêts du nouveau roi sur le marché publicitaire. Mais pareille question est un peu gênante: en principe, les managers ne parlent pas d'argent. Schiendorfer admet quand même que son client n'est pas encore un millionnaire en culotte de lin. Après tout, le nouveau roi n'a que 25 ans et, bien qu'il ait déjà un palmarès impressionnant à son actif, il n'est arrivé sur la grande scène publicitaire nationale qu'avec son sacre national.
Michael Schiendorfer affirme, logiquement, qu'il ne s'agit pas simplement de tirer un maximum profit de ce marché.
Il s'agit de créer le bon environnement pour Joel Wicki, notamment en matière de publicité. Comme le roi continue d'exercer une activité professionnelle, il s'agit aussi de structurer efficacement cet environnement.
Pour son manager, l'objectif est de ne pas bloquer dans le calendrier plus de 30 jours par an pour réaliser des spots publicitaires et médiatiques. Pour Christian Stucki, le prédécesseur de Wicki sur le trône, ce chiffre avoisine les 60 jours. Michael Schiendorfer fait remarquer que la commercialisation dépend aussi des besoins de l'athlète:
Il tient par exemple sa petite amie à l'écart des médias.
Michael Schiendorfer affirme qu'un athlète suisse exceptionnel avec des chances de médailles aux championnats du monde et aux Jeux olympiques a à peu près le même potentiel de commercialisation qu'un roi de la lutte. Ce n'est qu'en cas de victoire olympique ou de sacre mondial que le calcul est à refaire. Par exemple, le potentiel actuel de Simon Ehammer et de Joel Wicki est loin d'être aussi grand que celui de Marco Odermatt, champion olympique et vainqueur du classement général de la Coupe du monde de ski alpin.
Le nombre de followers sur Instagram donne une indication de la popularité et de la capacité de commercialisation: 27'000 pour Simon Ehammer, 25'000 pour Joel Wicki, 27'000 pour Christian Stucki et 191'000 – soit sept fois plus – pour Marco Odermatt.
Ça revient à dire que si on multiplie par sept la valeur publicitaire de Simon Ehammer ou de Joel Wicki, qui est actuellement d'un demi-million, nous arrivons à peu près au potentiel de Marco Odermatt. Enfin, à condition que la saison à venir de la star du ski soit couronnée de succès. Les contrats publicitaires dans le milieu du ski sont fortement axés sur les performances (primes). Lors d'une bonne année, Marco Odermatt devrait toucher environ 3 millions de francs de recettes publicitaires.
En plus, dans le ski et l'athlétisme, les équipementiers permettent aux athlètes d'encaisser des gros revenus. Ces deux sports ont une valeur publicitaire plus élevée pour les équipementiers en raison de leur dimension internationale. Simon Ehammer en profitera dès qu'il montera lui aussi sur un trône (champion du monde ou champion olympique). Les possibilités de commercialisation de Joel Wicki sont tout au plus nationales (il n'y a pas vraiment de partenaires publicitaires étrangers pour la lutte suisse) et généralement fortement régionales.
L'Entlebuch, la région d'origine du lutteur lucernois, est certes mythique et une biosphère l'UNESCO, mais elle reste aussi une région économiquement marginale. Reste à savoir si Joel Wicki parviendra à atteindre le million au fil des ans. Son prédécesseur Christian Stucki n'atteint pas tout à fait cette somme.
Mais les rois ne sont pas tous pareils. Chacun a un rayonnement, une histoire et un potentiel de commercialisation différents. Christian Stucki est considéré comme le roi de cœur, même après avoir été détrôné. Son chemin vers le trône a été beaucoup plus long que celui de Joel Wicki: il n'est devenu roi qu'à 34 ans. On n'oubliera jamais comment, encore couché sur le dos dans la sciure et mis à terre, il a déposé un baiser sur le front du vainqueur et nouveau roi Matthias Sempach après la finale fédérale de 2013. Christian Stucki, l'homme rude au cœur tendre.
Il n'y a pas de scène de ce genre avec Joel Wicki, du moins pas pour l'instant. Actuellement, il est l'athlète parfait, même avec une finale perdue (en 2019 contre Christian Stucki). Mais il faut avouer qu'il n'a pas le charisme du Bernois. Un spécialiste du marketing sportif, qui connaît bien le milieu de la lutte, fait une comparaison:
Michael Schiendorfer n'est pas d'accord. «Où était Christian Stucki à 25 ans?», questionne-t-il. Pour le manager, son client Joel Wicki est différent de Christian Stucki. Et c'est une bonne chose, estime-t-il. Il ne voit pas le vieux roi comme un concurrent sur le marché de la publicité. Au contraire: «Les deux se complètent».
C'est donc tout à fait normal pour lui que Christian Stucki poursuive sa carrière. Joel Wicki deviendra-t-il donc un millionnaire de la sciure? Il n'est même pas encore demi-millionnaire, mais s'il reste en bonne santé et continue de lutter, il lui sera possible, au cours des prochaines années, de réaliser entre 500'000 et 800'000 francs de recettes publicitaires par an.
Le nouveau roi ne deviendra donc pas millionnaire en publicité, mais c'est assurément un joli complètement à son activité principale de fermier.
Adaptation en français: Yoann Graber