Trois femmes en tenue de running, la cinquantaine, courent sur la plage, sous les regards étonnés de quelques badauds qui font bronzette et d'une classe d'enfants. Elles foncent à travers une banderole d'arrivée, comme les marathoniens, crient de joie, s'enlacent et se jettent dans la mer.
Oui, elles ont de quoi être heureuses: elles viennent de réussir leur défi «Alpine Quest», soit la traversée des Alpes de Vienne à Monaco. D'abord à vélo, puis à ski de randonnée et enfin à pied. Un périple de 54 jours, 1 600 km et cinq pays (Autriche, Italie, Suisse, France et Monaco). Ces trois sportives accomplies s'appellent Loubna Freih, Mélanie Corthay et Sophie Pelka. Elles sont originaires du Val de Bagnes, en Valais, et forment la première équipe 100% féminine qui a parcouru les Alpes en entier.
Difficile d'imaginer que seulement quelques jours avant de triompher dans ce décor de petit Copacabana, le 23 avril dernier, les Valaisannes franchissaient, skis aux pieds, des sommets enneigés. Et autant dire que là-haut, les conditions n'avaient rien à voir avec la quiétude de cette plage monégasque.
«Durant l'un des premiers jours à ski, en Autriche, on a été prises dans une tempête. On a dû rebrousser chemin tellement le vent était violent, et il n'y avait aucune visibilité», se souvient Loubna Freih (57 ans). Le col à franchir, près de Sölden, était pourtant un point clé du tracé. Mais face aux aléas météorologiques, les Romandes ont souvent dû changer d'itinéraires. Elles y étaient préparées. Heureusement, ce moment délicat restera l'un des seuls gros dangers rencontrés lors des 54 jours d'expédition.
Loubna Freih ne garde de celle-ci que des «souvenirs fantastiques». Sa voix rayonne au bout du fil quand elle nous raconte ce périple. «Ce défi fou», comme elle avait défini son projet au moment de nous le présenter, en octobre.
Les anecdotes s'enchaînent. Il y a par exemple ces chaussures d'urgence achetées dans un kiosque d'un village de montagne en France, «parce qu'on n'en pouvait plus de marcher avec nos chaussures de ski. Avec Mélanie, on chausse toutes les deux du 41. Mais il n'y avait qu'un 40 et un 42. On a été forcées de les prendre. Moi j'avais le 40, trop petit, et Mélanie s'encoublait avec son 42», se marre la Suissesse, qui réside à Monaco.
Oui, la haute montagne, c'est le royaume de la débrouille. C'est aussi celui de l'émerveillement. «J'ai ressenti des émotions très fortes quand je me suis retrouvée pile en face du Cervin, juste après avoir franchi un col. Je me suis liquéfiée et j'ai commencé à pleurer. Je n'arrivais plus à rester debout», s'émeut encore maintenant Loubna Freih.
Avant son départ, celle qui est devenue l'automne dernier championne du monde d'Ironman – 3,8 km de nage, 180 km de vélo et 42 km de course à pied – dans la catégorie des 55-59 ans nous confiait que cette traversée des Alpes serait «un véritable défi sportif», et qu'elle et ses deux amies voulaient «tester notre corps et ses limites».
En pleine aventure, il était difficile pour les trois femmes de se rendre compte qu'elles étaient en train de réaliser un véritable exploit, «parce qu'on était focus sur des choses très concrètes comme le choix de l'itinéraire, les conditions météo ou encore où dormir». C'est seulement une fois arrivée que Loubna Freih a pris conscience de «la force du corps humain, de sa capacité à répéter des efforts très importants tous les jours».
Elle avait un second grand objectif dans son «Alpine Quest»: aller constater par elle-même l'état des glaciers.
Cette amoureuse des montagnes raconte un paysage de désolation à certains endroits:
Ce constat a intensifié l'envie de Loubna Freih de s'impliquer dans la sensibilisation au changement climatique. Avec la glaciologue qui a accompagné les Valaisannes durant une partie de leur parcours, elle va aller dans des écoles en Valais, en juin, pour partager leurs observations.
Un cahier pédagogique sur l'état des glaciers, basé sur l'«Alpine Quest», sera aussi distribué aux élèves. Et le film documentaire à venir sur cette expédition – qui sera diffusé dans plusieurs festivals – fera la part belle aux extraits d'interviews de la glaciologue.
Malgré son choc en voyant l'état des glaciers, Loubna Freih n'a visiblement rien perdu de son enthousiasme. Ni de sa foi en l'humanité. Au contraire, son expédition alpine a renforcé celle-ci. «On a rencontré beaucoup de gens formidables dans les lieux qu'on traversait. Et puis, il y a eu de magnifiques moments de partage avec Mélanie et Sophie, ainsi qu'avec la glaciologue et les athlètes invitées qui ont fait un bout de parcours avec nous».
Il y a aussi eu les classes d'école – les mêmes que la skieuse et triathlète de l'extrême visitera en juin – qui ont suivi de près cette odyssée alpine.
On le sent à sa voix: ce serait la plus grande fierté de Loubna Freih.