«C'était l'aventure la plus compliquée de ma vie», lâche au téléphone Géraldine Fasnacht. Venant d'une femme élue «aventurière de l'année» en 2021 par le magazine Paris Match, cette affirmation a de quoi donner le ton. La Romande de 44 ans l'a ponctuée d'un soupir, qui mêle soulagement d'avoir accompli cet exploit et souvenir des tracas qu'il lui a causé. Et même du désespoir, à certains moments.
Le 13 juin dernier, Géraldine Fasnacht a descendu, en snowboard, la face nord-ouest du Nordend, un sommet dans le massif du Mont Rose en Valais, qui culmine à 4'608 mètres d'altitude. «C'est une pente raide de 55 degrés, qui est pratiquement en glace toute l'année», précise-t-elle.
Si cette prouesse est remarquable, elle n'est finalement qu'une ligne de plus dans l'impressionnant CV de la Vaudoise, qui a l'habitude de soulever des montagnes en les dévalant sur sa planche ou avec son wingsuit. Ce qui a fait de cette aventure un exploit, c'est sa combinaison avec un autre défi périlleux: se poser avec un petit avion sur un glacier à 4'200 mètres.
«Techniquement, c’est un endroit extrêmement difficile de part son altitude élevée, le plus compliqué des Alpes. Il fallait que les conditions météo soient optimales et la configuration du glacier ne laissait que très peu de place pour atterrir et décoller», raconte Géraldine Fasnacht, qui a passé sa licence de pilotage en 2011. C'est simple: il s'agit du record d'altitude pour un atterrissage dans les Alpes. Il avait déjà été établi par le Valaisan Hermann Geiger en 1953, qui s'était posé au même endroit.
«En hommage à son exploit, je voulais suivre ses traces», confie la pilote et rideuse. Et ça tombait particulièrement bien: depuis son ULM, qu'elle a appelé «Roméo», elle a repéré le Nordend et la possibilité d'y laisser la sienne, au sens propre cette fois, avec son snowboard.
Et si, en plus, celle-ci lui offre l'opportunité de repousser ses limites, la native de Lausanne – qui «n'aime pas ce qui est facile» – est comblée.
«C’était un rêve de réaliser cet enchaînement de l’atterrissage le plus haut et le plus technique des Alpes avec une descente en pente raide du sommet du Nordend. Je couplais ainsi toutes mes passions pour la montagne», explique Géraldine Fasnacht. Pour cette pionnière, l'idée de faire, sur cette pointe rocheuse, d'une pierre deux coups est devenue dès 2022 une obsession. Et un long chemin de croix.
«Chaque jour, je regardais pendant deux à quatre heures les différents sites météo et les webcams de la région», rembobine-t-elle.
Et le moins qu'on puisse dire, c'est que la Romande a dû prendre son mal en patience: impossible de trouver une fenêtre pendant plus d'un an, la faute à la glace persistante sur la pente.
Durant toute cette période, elle s'est aussi entraînée à poser son ULM – qu'elle fait décoller de Sion – en haute montagne, dans des endroits escarpés.
Mais Roméo a vécu une tragédie un jour de 2023. Estimant mal l'atterrissage et la neige, Géraldine Fasnacht a planté son petit avion sur le glacier du Mont Rose. Résultats: hélice brisée et dérive endommagée. Même si Roméo a rapidement été retapé grâce à un mécanicien spécialisé, la sportive de l'extrême perdait à ce moment tous ses espoirs.
Elle a aussi averti l'équipe de tournage – l'idée était, dès le début, de réaliser un film autour de ce défi – que le projet était terminé.
Mais voilà: si Géraldine Fasnacht semblait résignée quant à réaliser «ce rêve inatteignable», celui-ci continuait à trotter dans un coin de sa tête. Petit à petit, la flamme s'est rallumée à mesure qu'elle constatait que les conditions météo, en ce début d'année 2024, s'annonçaient plus propices que jamais, avec notamment une petite couche de neige sur la glace du Nordend.
Alors elle est repartie voler autour du Mont Rose et, son impression renforcée, a tenté le coup le 25 mai. Mais une fois Roméo posé sur le glacier, c'était la douche froide: le brouillard rendait trop dangereux la descente par la voie choisie. Ce n'était que partie remise.
Le 13 juin, après plus de deux ans d'obstination, elle a enchaîné le vol jusqu'au glacier du Mont Rose (1h15 aller-retour), la montée en peaux de phoque jusqu'au sommet (3 heures) et la descente en snowboard. Celle-ci n'a duré que quelques minutes, mais elle a offert une bonne dose d'adrénaline à Géraldine Fasnacht et de superbes images à son équipe de tournage. Elles ont donné vie au film Nordend - Rêver au-delà des limites.
Ce court-métrage de 17 minutes, réalisé par Guido Perrini, montre Géraldine Fasnacht – elle-même équipée d'une caméra go pro – dévaler les pentes neigeuses et immaculées du Nordend, en plans larges (grâce à des drones) et serrés. Il rembobine aussi les différentes étapes de ce défi insolite.
La Vaudoise présente ce film lors d'une avant-première ouverte au public, ce vendredi soir au centre de conférences Millenium à Crissier (VD) (pour plus d'informations, cliquez ici).
Elle pourrait d'ailleurs être questionnée par l'audience sur l'aspect écologique de son défi. Alors elle anticipe:
L'aventurière précise que «Roméo pèse 300 kg et consomme 15 litres à l'heure de carburant sans-plomb, c'est comme une voiture. J'ai fait le calcul: si j'étais montée avec d'autres transports, en les cumulant, j'aurais consommé plus d'essence qu'avec mon avion».
Reste une question: pourquoi parle-t-elle de son «ultime aventure alpine» dans son film? «J'ai encore des projets en tête», (r)assure Géraldine Fasnacht. «Mais ils ne seront plus de l'ampleur du Nordend: je n'ai plus la patience d'attendre si longtemps avant de réussir un défi!»