Si vous faites partie de ces quelques mordus de Strava pour qui les statistiques, ça compte, cette situation vous est peut-être déjà arrivée: une baisse monumentale de motivation, couplée à une météo de merde, à l'appel irrésistible de votre canapé, la sortie d'une nouvelle série que vous attendiez impatiemment sur Netflix, ainsi qu'à une interminable journée de boulot. Une conjoncture mortelle.
C'est là, toutefois, qu'une méchante petite voix intérieure vous glisse que:
Vous vous retrouvez donc à accomplir votre séance malgré tout, sous une pluie battante mais avec, au final, la satisfaction de l'avoir fait - et de clouer le bec à Thibeaud. Ceci dit, il existe une autre solution: payer quelqu'un pour y aller à votre place.
Source de motivation ou de stress pour certains, outil statistique efficace ou joujou rigolo pour d'autres, Strava a le don de mettre les nerfs de nombreux sportifs à rude épreuve. Pour preuve: certains sont tellement désireux d'afficher des statistiques flatteuses qu'ils sont prêts à sortir le porte-monnaie pour que d'autres réalisent ces performances pour eux. Des sortes d'écrivains-fantômes de la course, si vous voulez.
Le phénomène des «Strava jockeys» est apparu l'an dernier en Indonésie, et s'est depuis largement développé sur X. A l'origine, le job séduit plutôt de jeunes personnes, souvent précaires mais motivées, qui proposent leurs services à des utilisateurs fortunés n'ayant pas le temps ou l'énergie d'y aller. «Mon hobby est de courir, alors j'ai pensé que je devrais profiter de la situation et en faire un business», expliquait par exemple Wahyu, un lycéen de 17 ans, à la chaîne locale CNA l'été passé.
Son entreprise naissante lui a permis de décrocher pas moins de huit clients en seulement six jours et d'empocher la modique somme de 5000 roupies (environ 27 centimes suisses) pour chaque kilomètre parcouru. Son mandat le plus lucratif jusqu’à présent lui aurait rapporté 100 000 roupies, soit 5,5 francs suisses. Et si cela peut paraître dérisoire, rappelons que le salaire minimum légal en Indonésie est d'environ 100 dollars par mois.
Selon Satria, étudiant de 17 ans originaire de Bogor qui «tue le temps» en attendant de postuler à l'université, ses clients sont tous plus âgés que lui, «ont un travail à temps plein et ne peuvent pas courir».
Outre le fait d'être moralement discutable, avoir recours à des Strava jockeys laisse aussi planer des risques pour la santé des coureurs concernés, menacés de surmenage par appât du gain, mais aussi de flirter avec l'illégalité.
Comme l'explique Glenn Wijaya, avocat de Jakarta chez Christian Teo and Partners, à CNA, avoir recours à ces prêtes-plumes sportifs peut être illégal si le but est d'obtenir des avantages monétaires - citons par exemple les influenceurs sponsorisés par des marques de sport qui utilisent ces statistiques Strava pour faire leur promotion.
Aussi douteux soit-il, selon L'Equipe, le phénomène s'est propagé à l'Europe. En Angleterre par exemple, des anonymes vendent des kilomètres à pied et à vélo respectivement pour 25 et 10 livres (28 et 11 francs suisses). En France, un Lyonnais propose ses services sur X en ces termes: «Je suis un jeune coureur aguerri qui a plus de 5000 km à son actif et je veux vous aider à remplir votre Strava pour avoir les stats que vous voulez.»
Il n'a pas souhaité répondre aux questions du magazine.
Une fois la course du «jockey» achevée, la méthode est simple: il lui suffit d'envoyer le fichier correspondant sur Strava à son client, qui est libre ensuite de le publier sur son propre profil et d'épater ses abonnés. Malin et presque indétectable. Comme quoi, le célèbre slogan «Si ce n'est pas sur Strava, ça n'existe pas», ce n'est définitivement plus trop ça.
Bien que l'application, qui compte plus de 100 millions d'utilisateurs à travers le monde, ait fait des progrès en matière de détection et de prévention des tricheries, la responsabilité incombe également aux utilisateurs de respecter ces valeurs, rappelle The Running Week. «A mesure que cette tendance gagne en popularité, on peut espérer que la communauté des coureurs rejettera collectivement de telles pratiques», formule également le magazine, «et reviendra aux principes fondamentaux qui rendent ce sport si gratifiant».
Un voeu pieux, sans doute.