Nombreuses sont les courses qui revendiquent le titre de l'épreuve la plus difficile au monde. Mais sur route, en matière d’ultrafond, peu d'événements rivalisent avec la Badwater 135. Il faut dire qu'en plus des 217 kilomètres à parcourir et 4 000 mètres de dénivelé positif à avaler, elle se court en plein mois de juillet, dans un environnement impitoyable: la vallée de la Mort, à savoir l’une des régions les plus chaudes de la planète.
Mais si l’Ultramarathon de Badwater est si particulier, c’est aussi grâce à son histoire (la course puise ses origines dans les années 1970) et à son tracé: le départ est donné au point le plus bas des Etats-Unis, tandis que l’arrivée est jugée à proximité du mont Whitney, soit le plus haut sommet du pays hors Alaska.
Bref, il y a quelque chose de mystique dans cette Badwater courue sur invitation, et qui renvoie, dans l’imaginaire, à Forrest Gump. Cette course hors du commun, un Suisse, le Bâlois Martin Briner, vient de la terminer à la 34e place, en 34 heures et 38 minutes. Interview.
Martin, avec ses 100 participants et son format sur invitation, la Badwater est entourée d’un certain mythe. Comment avez-vous réussi à obtenir votre dossard?
C’est simple: il faut participer aux courses qualificatives recommandées. Eviter les distances les plus courtes, et courir si possible dans des régions chaudes. C’est ce que j’ai fait, avec le Spartathlon en Grèce ou encore Milan-San Remo en Italie.
Mais l’organisation précise que prendre part à des ultramarathons difficiles ne suffit pas toujours à garantir une place.
Le fait d’avoir participé à plusieurs courses de 24 et 48 heures a sans doute joué en ma faveur. Mon record sur le format «Backyard Ultra» (réd: une épreuve à élimination, où les coureurs doivent parcourir 6,706 km chaque heure) est également de 37 heures.
Etait-ce votre première candidature?
J’ai été accepté dès ma première tentative. Apparemment, ce n’est pas si rare: d’autres coureurs m’ont dit avoir vécu la même chose. On ne sait pas exactement combien de candidatures les organisateurs reçoivent. Mais ils tiennent à avoir une représentation internationale. Est-ce que j’étais le seul à postuler depuis la Suisse? Peut-être. Certains pays n’avaient eux aussi qu’un seul coureur sélectionné.
Comment se prépare-t-on pour une épreuve aussi exigeante?
Avec un plan standard pour une course de 24 heures. Cela représente pour moi un programme de douze semaines, comprenant cinq à six séances hebdomadaires. Et cela inclut au moins une sortie longue chaque week-end, allant de 20 à 60 kilomètres. La semaine la plus chargée représente un total de 170 kilomètres.
Et pour affronter les fortes chaleurs?
J’ai opté pour cinq à six séances de sauna par semaine durant le dernier mois de préparation. J’ai aussi fait plusieurs sorties de 20 kilomètres en portant plusieurs couches de vêtements: quatre sur le haut du corps, deux sur les jambes, même quand il faisait 30 degrés. Une fois, juste pour le fun, j’ai mis six couches sur le haut, à la manière d’Akos Konya, qui avait terminé deuxième de la course en 2006, à la surprise générale.
Diriez-vous que vous supportez mieux le chaud que le froid?
Je ne suis pas vraiment spécialisé. J’ai déjà couru un marathon dans le froid, sans aucun problème. Mais pour la chaleur, j’ai vraiment besoin de m’acclimater durant ma préparation. C’est indispensable pour moi. Une semaine peut suffire pour des distances courtes, mais pour des épreuves longues comme celle-ci, il faut plutôt compter un mois. Cela dit, le plus important reste de bien se refroidir en course.
Il devait y avoir pas mal d’eau et de glace dans votre véhicule d’assistance.
Nous nous arrêtions environ tous les 1,5 miles. Une pause pour boire, manger, m’arroser et glisser des glaçons dans les manchons, le tour de cou et la casquette.
Combien de litres de boisson avez-vous consommé?
Nous n’avons pas vraiment compté, mais je dirais autour de 40 litres. J’ai surtout bu des boissons énergétiques, comme de la Gatorade ou de la Powerade. De l'eau, aussi, toujours en petites gorgées, pour m’hydrater bien sûr, mais surtout pour garder la bouche humide et me rafraîchir de l’extérieur.
Et côté alimentation? L’organisation souligne que l’assimilation peut devenir difficile sous de fortes chaleurs.
J’ai consommé beaucoup de comprimés de sel, quelques bretzels salés, quelques compléments alimentaires, un peu de chips et trois glaces à l’eau. Ce n’était clairement pas une alimentation optimale. J’aurais préféré pouvoir prendre un gel toutes les 30 minutes ou manger plus de vraie nourriture, mais je n’arrivais tout simplement pas à avaler. J’ai quand même pris deux gels au début, mais sinon, j’ai surtout bu et utilisé mes réserves de graisse. (Rires)
Les organisateurs conseillent d’emporter une balance avec soi pour effectuer des contrôles durant la course. Avez-vous perdu beaucoup de poids?
Je ne me suis pas pesé après l'arrivée. J’ai probablement perdu un ou deux kilos. Rien de dramatique. On peut en perdre beaucoup plus pendant la préparation.
A combien est monté le thermomètre durant l'épreuve? Le véhicule d’assistance a enregistré jusqu’à 116 degrés Fahrenheit, soit environ 46,7 degrés Celsius. Mais en plein soleil, avec la chaleur rayonnée par l’asphalte et un vent parfois gênant, la température ressentie était bien plus élevée. Ce n’était pourtant pas une année exceptionnellement chaude, mais ça m’a largement suffi! (Rires)
Vous dites que le vent vous a gêné: est-ce parce qu’il vous ralentissait, ou parce que l'air était chaud?
Le vent m'a gêné surtout parce qu’il soufflait de face, ce qui rend la course plus fatigante. Mais honnêtement, avec la chaleur qu’il faisait, ça ne changeait pas énormément la donne. Et pour ce fameux vent chaud du désert, qui souffle constamment au visage, je ne l’ai pas trouvé si terrible que ça.
Comment vous êtes-vous protégé du soleil?
Au petit matin, je me suis complètement changé et j’ai opté pour une tenue blanche intégrale. Peu de coureurs en portaient, mais je voulais éviter d’avoir à appliquer de la crème solaire en continu. On a entendu parler de certains runners qui en pulvérisaient sans cesse.
Et comment s’est déroulé votre course?
Cela s’est très bien passé. J’ai juste dû changer de chaussures une fois, car elles me faisaient mal. Mais je n’ai eu ni ampoules ni irritations. Par contre, mes mollets ont un peu souffert lors de la montée finale, à cause de piqûres de moustiques assez sévères.
Vous devez avoir beaucoup d'anecdotes à raconter après avoir vécu une telle aventure.
Sur le trajet en direction du départ, une petite tempête de sable s’est levée. Mais heureusement, rien pendant la course. Je me suis aussi rapidement retrouvé dernier: ils m’ont mis dans le dernier groupe, celui qui partait à 22h, et qui était composé des coureurs les plus forts. L’élite… et moi! (Rires) Résultat: j’ai eu le ciel et la pleine lune pour seule compagnie, avant de rattraper des concurrents partis plus tôt.
Vous avez également dû en prendre plein les yeux tout au long du parcours.
Panamint Valley, avec sa longue ligne droite, offre un paysage magnifique à capturer. C’est l’un des temps forts de la course. La vue depuis Father Crawley est également spectaculaire, mais c'est dur d'en profiter: il fait très chaud, la montée est rude et le véhicule d’assistance ne peut pas toujours s’arrêter.
Ces lignes droites interminables sont aussi épuisantes mentalement.
La longue descente dans la vallée de l’Owens a été mon plat de résistance. De nuit, les lumières au loin semblaient ne jamais se rapprocher, ce qui était particulièrement frustrant. J’aurais dû me réjouir de chaque mètre parcouru, mais mentalement, j’étais vidé.
Finalement, à quelle vitesse avez-vous couru?
Je m’étais fixé un objectif de 7 km/h pour franchir la barrière au niveau des 12 heures de course sans stress. C’était la seule un peu critique. Finalement, je l’ai passée sans problème. Ensuite, j'ai pu courir de façon plus détendue.
Cette Badwater 135 est-elle l'épreuve la plus difficile que vous ayez faite?
Je pense aussi au Spartathlon, notamment à cause de la chaleur et des nombreuses barrières horaires qui imposent un rythme de départ élevé. La Badwater implique une grande logistique et des chaleurs extrêmes. Pour moi, ce sont deux mythes équivalents, deux courses absolument incroyables. Mais il est vrai que les organisateurs de la Badwater décrivent la montée finale, vers Whitney Portal, comme le semi-marathon le plus dur du monde. Le dénivelé y est important. J’ai terminé en marche rapide.