Lorsqu'elle a publié un calendrier du Tour de France sur son compte X suivi par une poignée de passionnés, Yasmin ne s'attendait pas à ce qu'il devienne viral. Sa publication a été vue par près de 600'000 twittos, mais on peu facilement estimer à un million le nombre de personnes touchées, étant donné les diverses reprises ici et là.
Les raisons du succès? Son planning se veut pratique. Il résume les jours de course et présente pour chaque étape un «watch score», une note permettant de repérer celles à ne surtout pas manquer. Créé en anglais puis en danois, le calendrier existe désormais en français et en espagnol grâce à l'aide des internautes. Elle en parle depuis son petit village danois.
Yasmin, votre calendrier semble être apprécié des amoureux du Tour de France. Les gens ont-ils vraiment besoin de connaître les jours où ils pourront faire la sieste en milieu d'étape?
On dirait en effet que c'est ce qu'il manquait avant le départ du Tour. Je ne pensais pas qu'il serait autant vu et apprécié. Je l'ai d'abord créé pour moi afin de m'organiser au mieux. Je ne voulais pas manquer les étapes les plus importantes. Mais c'est vrai qu'il y a ce mot qu'on utilise au Danemark: «Tour lur», signifiant la sieste du Tour. C'est peut-être pour ça qu'il a si bien fonctionné (rires).
Quelles ont été les réactions qui ont suivi votre publication?
Il n'y a eu que du positif. Beaucoup m'ont dit qu'ils imprimeraient le calendrier pour l'accrocher sur leur réfrigérateur ou l'utiliseraient comme fond d'écran jusqu'à la fin du Tour de France. Ils veulent maintenant que je prépare la même chose pour le Giro et la Vuelta. Certains ne sont pas d'accord avec les notes que j'ai données. Ils n'ont pas forcément tort. J'aurais pu y porter davantage d'attention. Mais à la base, ce calendrier n'était pas destiné à être autant partagé.
Justement, comment avez-vous réagi devant cette viralité?
J'ai vraiment été choquée. Auparavant, mon post le plus remarqué n'avait reçu qu'une dizaine de likes. Ce qu'il s'est passé est assez incroyable. Il y a eu un article sur un site italien et on m'a demandé mon autorisation pour que le calendrier soit publié sur une autre plateforme. J'ai également gagné près de 2'000 followers en l'espace de quelques heures.
Vous avez donné des «watch score» à chaque étape, mais comment noteriez-vous le parcours général du Tour de France 2024? Est-ce un grand cru?
Le tracé de cette 111e édition est intéressant. Il est complet, avec un bon mélange entre les étapes de plaine, les étapes vallonnées et celles de montagne, ainsi que deux chronos. Il y en a pour tout le monde, cela peut donner lieu à des batailles passionnantes. Je donnerais certainement à ce parcours, particulièrement original en fin de troisième semaine, un 8/10. J'ai également savouré les premiers jours de course. Le Grand Départ en Italie a été imprévisible, avec deux vainqueurs surprenants.
Le Galibier est venu très vite. Je craignais des écarts importants après seulement quatre jours. Mais finalement, le 8e est sorti de cette 4e étape avec seulement 1'32 de retard sur Pogacar. Nous avons enfin vécu des moments historiques avec les victoires de Girmay et Cavendish.
Todays winner wrote history 📖 and now holds the record for most stage wins in #TourdeFrance 🇫🇷
— Yasmin - Tour de France 💛🌻🚴 (@CyclingYazz) July 3, 2024
Mark Cavendish takes his 35th stage win in the Tour 🙌#TdF2024 #Riderprofile pic.twitter.com/f2Q575dZdb
Vous citez ces deux champions. Le parcours ne fait pas tout. Ce sont d'abord les coureurs qui font la course. Et le plateau tient aussi un rôle important. En ce sens, nous sommes particulièrement gâtés cette année.
Oui, les plus grands sont là: Jonas, Tadej, Remco et Primoz. C'est une bonne chose de voir les meilleurs se disputer le maillot jaune. Il y aussi Rodriguez, Ayuso, sans compter Van Aert, Van der Poel et tous les sprinteurs. En tant que Danoise, je regrette simplement les absences de Kron, qui a chuté au Dauphiné, et d'Asgreen, non sélectionné.
Vous n'avez donné aucun 10/10 aux étapes du Tour de France 2024. Selon vous, que manque-t-il?
Certaines étapes comme la 15e, la 19e et la 21e auraient certainement pu recevoir un 10. Mais je donne rarement la note maximale, car j'ai toujours l'impression qu'il existe une marge de progression. Le «watch score» est finalement assez difficile à déterminer. La lutte pour le maillot jaune et la course peuvent l'influer. Le contre-la-montre entre Monaco et Nice méritera peut-être un 10/10 si Tadej et Jonas ne sont séparés que de quelques secondes. Vous savez, il peut se passer tellement de choses à chaque étape. Soudain le vent se lève comme sur les routes bourguignonnes et une journée ennuyeuse devient particulièrement animée. La sixième étape ne méritait finalement pas un 1/10.
On a vu apparaître ces dernières années des étapes de montagne très courtes, de quelques dizaines de kilomètres. On pense à celle de 65 bornes entre Bagnères-de-Luchon et le Col du Portet en 2018. Mais aussi aux tracés raccourcis à cause des conditions météorologiques, comme celui de Crans-Montana sur le Giro 2023. N'est-ce pas là le meilleur moyen d'obtenir des étapes attractives?
Elles sont en effet intéressantes car elles se courent à plein régime du premier au dernier kilomètre. Mais à contrario, elles durent moins longtemps. Cela favorise en tout cas les attaques. Il n'y a plus à se préserver pour l'ascension finale. Je dirais que c'est bien d'en avoir une pour tester les leaders du général. C'est un effort complètement différent. Ces étapes peuvent néanmoins condamner les échappées. Il est plus difficile de s'extirper, alors qu'il est pertinent d'avoir deux courses en une. Cela n'avait toutefois pas été le cas à Crans-Montana. Les échappées avaient bien eu le dernier mot.
L'étape des chemins blancs a livré dimanche un grand spectacle. Vous n'aviez pourtant attribué qu'un 7.
Les secteurs et les côtes les plus redoutables se trouvaient en début et milieu d'étape. Je n'imaginais pas qu'il y aurait autant d'action du côté des favoris. Je voyais une belle lutte pour prendre l'échappée, avec des coureurs de classique à l'avant en vue de la victoire d'étape, et ceux du général derrière ne souhaitant pas prendre tous les risques. Ca n'a finalement jamais débranché.
Les étapes de plaine récoltent naturellement les plus petits scores. Pourtant, Biniam Girmay et Mark Cavendish sont entrés dans l'histoire cette année. Ne sont-elles pas sous-évaluées?
C'est vrai que je n'ai pas pensé au record de Cavendish en réalisant ce calendrier. J'aurais certainement pu ajouter un point pour chacune des arrivées au sprint. Le scénario reste néanmoins le même. Le peloton s'active à 30 kilomètres de l'arrivée et c'est là que tout devient excitant. Je comprends que les équipes ne veulent plus se lancer dans de longues échappées publicitaires. Désormais, personne ne vient au Tour pour faire de la figuration. Je ne sais pas vraiment comment les organisateurs peuvent remédier à l'ennui de ces étapes. Elles font partie des Grands Tours. On peut bien sûr ajouter des côtes, mais les sprinteurs doivent eux aussi avoir leurs chances. Ces journées permettent également de transporter les coureurs d'une région à l'autre.
Votre pays a accueilli le Grand Départ du Tour de France il y a deux ans. L'Italie était à l'honneur cette année. Tout était différent.
Le parcours était en effet bien plus excitant en Italie. C'est en même temps très facile de faire mieux que les routes plates du Danemark (rires). Je pense cependant que l'ambiance était meilleure chez nous. Il y avait bien sûr du monde dans la montée de San Luca et toutes les côtes du tracé, mais ce n'est rien à côté de la ferveur incroyable du Danemark. Il y avait des spectateurs partout aux bords des routes, et pas seulement dans les côtes, si on peut appeler nos ascensions des côtes (rires). C'était une vraie belle surprise, même pour nous. J'étais à Nyborg pour l'arrivée de la deuxième étape. L'atmosphère était électrique.
C'est là que votre passion pour le cyclisme est réellement née? A moins que ce ne soit étroitement lié aux performances de Jonas Vingegaard?
Le Tour de France a toujours marqué mes étés. Mais mon premier souvenir saisissant remonte à 2020 avec les deux victoires de Søren Kragh Andersen et le dramatique contre-la-montre de la Planche des Belles Filles. Ce n'est qu'à partir de 2021 que j'ai commencé à suivre assidûment le cyclisme. A l'époque, personne ne connaissait vraiment Jonas au Danemark.
Plus la course avançait, plus les Danois se sont pris de passion pour lui. Ses résultats et ceux des autres coureurs locaux ont maintenu mon intérêt grandissant pour ce sport.
Jonas a montré de belles choses en première semaine du Tour. Etes-vous surprise de le voir à ce niveau après sa chute?
Oui, je ne pensais pas le voir dans la même seconde que Pogi au soir de l'arrivée à Bologne. Il a certes perdu du temps dans le Galibier et le chrono, mais cela reste correct. L'an passé aussi, il lui est arrivé d'être distancé. Sur la 4e étape, le trou s'est fait dans la descente, mais ce n'est pas parce qu'il craint de goûter à nouveau au bitume. Il a perdu du temps dans la deuxième portion, moins technique, où il fallait pédaler. Tadej est moins frêle et il lui restait sans doute plus d'énergie après avoir distancé Jonas au sommet.
Il peut s'en passer des choses en trois semaines. Vingegaard remportera-t-il le Tour de France?
A mes yeux, Pogacar est favori. Mais je suis optimiste et je ne veux pas complètement écarter Vingegaard du match. Nous pourrions le voir progresser au fil des étapes. Les huit derniers jours de course sont particulièrement difficiles cette année. Pogacar peut subir sa participation au Giro ou avoir une mauvaise journée comme au Col de la Loze. Mais la même chose peut arriver à Vingegaard en raison de sa préparation écourtée. J'espère tout de même qu'il sera en jaune en troisième semaine lorsque je me renderai dans le Sud de la France avec ma famille. Nous prévoyons d'assister à des étapes.
On imagine qu'il y a beaucoup d'attente au Danemark, que la couverture médiatique est importante.
Le cyclisme suscite beaucoup d'enthousiasme et d'attention, en particulier en juillet. Le fait que Jonas ait gagné en 2022, année du Grand Départ au Danemark, a certainement contribué à accroître l'intérêt pour cette activité que nous pratiquons tous, au moins pour nous déplacer.
Mais il n'y a pas que lui. Mads Pedersen, Kasper Asgreen, Magnus Cort et Mattias Skjelmose courent au plus haut niveau. C'est énorme pour un pays de six millions d'habitants. Cet engouement, c'est aussi grâce à eux.
L'équipe Uno-X s'est distinguée depuis le début du Tour, avec notamment le surprenant Jonas Abrahamsen. Considérez-vous cette formation comme la vôtre?
Cette équipe est certes norvégienne, mais plusieurs de nos coureurs la composent. Uno-X est à moitié danois à mes yeux, je la suis avec un peu plus d'attention. Nous les Scandinaves, nous nous ressemblons et partageons beaucoup. J'aimerais qu'il y ait davantage de coureurs danois en son sein. C'est la dernière année d'Andreas Kron chez Lotto Dstny. On parle de lui pour rejoindre Uno-X la saison prochaine.
Dernière question. Comment Tadej Pogacar est-il perçu au Danemark? Il est sans doute plus populaire que Jonas Vingegaard à l'échelle du continent.
Ce n'est un secret pour personne. Les fans de cyclisme ont tendance à préférer Pogacar en raison de sa façon de courir. Il est également apprécié au Danemark. C'est difficile de ne pas l'aimer. Mais les gens préfèrent logiquement Jonas, bien qu'il puisse paraître plus ennuyeux. Sa personnalité reflète celle des Danois. Il est calme, réservé, tourné vers sa famille. Les gens s'identifient à lui. C'est bien d'avoir des personnalités aussi différentes dans le peloton. Jonas et Tadej se complètent, tant sur le vélo qu'en dehors. C'est toujours intéressant de les suivre lorsqu'ils sont alignés sur une même course.