«On m'aurait menti?» Vous vous souvenez sans doute de la célèbre ritournelle de Richard Virenque aux Guignols de l'info; eh bien, c'est à cette phrase qu'on a pensé très fort mercredi en assistant aux derniers kilomètres de la superbe étape entre Pau et Laruns. Alors qu'un Jonas Vingegaard moins en chair qu'en os écrasait ses pédales pour augmenter son écart sur Tadej Pogacar, le brave Giulio Ciccone tentait de prendre un relais en tête de groupe avant d'être stoppé net par ses directeurs sportifs dans l'oreillette. Que lui ont-ils dit?
Evidemment, tout le monde brûlait de le savoir. Le problème, c'est que la conversation n'a jamais été diffusée à l'antenne. C'est étonnant, et même un peu navrant, parce qu'on nous avait justement annoncé le contraire avant le départ de l'épreuve de trois semaines. L'organisateur du Tour (ASO) avait en effet promis que pour la première fois cette année, il serait possible d'entendre certains des messages que les directeurs sportifs délivrent aux coureurs durant chaque étape. La presse française avait présenté la nouveauté comme une révolution qui allait modifier l'expérience des téléspectateurs. On nous aurait donc menti?
Bien sûr, certaines conversations sont bien diffusées à l'antenne. Mais il s'agit la plupart du temps de banalités. Comme cette remarque, retransmise (ça valait bien la peine) dans l'ascension du Col de Marie Blanque mercredi:
Dans un registre plus émotionnel mais tout aussi inintéressant, ce sont les encouragements de la femme d'un coureur que les téléspectateurs ont pu entendre lundi.
«Je suis trop fière de toi , t'es un french guerrier (...) Tu nous donnes tellement d'émotions. Allez c'est super ce que tu fais, profite, profite. Je t'aime fort», a glissé la compagne de Laurent Pichon, échappé lors de la 3e étape.
[Live] 🔊
— Team Arkéa Samsic (@Arkea_Samsic) July 3, 2023
La femme de Laurent Pichon a un message à faire passer pour son mari🎙️😍#TDF2023 pic.twitter.com/m68ONvJjuX
L'échange est certes touchant, mais il ne nous permet pas du tout de mieux comprendre le cyclisme, la tactique de course, la stratégie choisie par une équipe dans telle ou telle configuration; tout ce pourquoi les téléspectateurs se réjouissaient de la diffusion des messages délivrés dans les oreillettes.
Il y a bien eu quelques consignes tactiques relayées à l'antenne depuis le début du Tour, mais elles sont beaucoup trop rares pour que l'on puisse se féliciter de la nouveauté, surtout si on compare ces interventions à celles qui existent déjà en Formule 1 et qui sont riches en enseignements. De surcroît, elles apparaissent parfois à l'écran avec trop de retard pour être pertinentes, puisqu'elles sont filtrées par un modérateur en amont. Cela donne des scènes étranges, comme ce jeudi lorsque ce message de la Soudal Quick-Step a été projeté à l'antenne, «Les gars qui veulent être dans l'échappée, restez bien attentifs dès le début» (quelle info!), alors que la course était déjà lancée depuis dix minutes.
Mais le problème principal ne réside pas dans ce timing malheureux. Il vient de la divergence d'intérêts entre l'organisateur de la Grande Boucle et les équipes.
Amaury Sport Organisation entend développer son produit et le rendre attractif auprès du plus grand nombre. Or quoi de mieux qu'en dévoiler les coulisses? L'ennui, c'est que les équipes cyclistes ont une course à faire, et toutes n'ont pas envie que les consignes dictées par leurs dirigeants soient partagées à l'extérieur.
Ce conflit d'intérêts avait déjà été aperçu lors du tournage de la série documentaire de Netflix sur le Tour de France 2022. Le géant américain de la vidéo souhaitait proposer une immersion dans la course (d'où le titre «Tour de France. Au cœur du peloton») mais l'équipe UAE, celle du double vainqueur Tadej Pogacar, avait fermé sa porte aux caméras après qu'un droit de regard final sur le montage lui a été refusé. Cela n'avait pas empêché Netflix de tourner sa série de huit épisodes et d'en retirer un certain succès.
Ouvrir la fréquence radio des oreillettes au public n'est pas une mauvaise idée, mais à condition que le contenu diffusé à l'antenne réponde à un choix rédactionnel, qu'il serve le récit de la course et sa dramaturgie, sans quoi l'innovation est aussi inutile qu'un lieutenant en panne de jambes.