Sur la photo officielle, ils embrassent tous leur maillot. Tous autant qu'ils sont. Mais c'est une façon assez maladroite d'embrasser, un peu du bout des lèvres, un peu du bout des doigts. Façon délicate d'exprimer l'amour du maillot, de peur qu'il ne se brise à nouveau. Ou alors la gêne des retrouvailles. Qui sait?
L'an dernier, ce fut Dani Alves, revenu dans son club de cœur après avoir cédé aux faveurs d'une Vieille dame de Turin. Ce retour a ému les foules sentimentales du Barça. Rien à voir avec la crainte de rester en rade ou des émois de mec facile: Alves avait tout ce qu'un footballeur de 38 ans peut espérer. «Un choix purement affectif», soutient Alexandre Comisetti, qui est passé par là.
Cet été, sur le marché des transferts, c'est encore la saison des amours. Alexandre Lacazette rentre à Lyon avec «des papillons dans le ventre», poussé par «une évidence». Plus près de nous, Olivier Custodio quitte Lugano pour «venir aider» son «club de cœur», Lausanne. Romelu Lukaku est si malheureux qu'il est prêt à rejoindre l'Inter Milan, son ex club, «à genoux».
Dans le football comme dans le hockey, ceux qui retournent chez leur ex sont forcément un peu nostalgiques, affreusement romantiques. «Il y a l'envie d'aider», confirme Raphaël Nuzzolo, revenu au chevet de Xamax après cinq ans aux Young-Boys. Le Neuchâtelois se reconnaît un peu dans la démarche de Custodio ou Alves: «Le club ne va pas bien, il essaie de reconstruire, tu n'as plus de grandes perspectives de carrière et pour ce choix-là, tu es prêt à abandonner beaucoup. Tu te sens redevable. Mais tu te sens aussi libre d'aider, sans attentes ni arrière-pensées. C'est une expérience valorisante.»
Le cœur a parfois ses raisons que la médiatisation ignore. Olivier Keller est revenu dans son club formateur... quinze ans après l'avoir quitté. Il révèle ce que presque personne n'a jamais su:
Olivier Keller est encore revenu à ses deuxièmes amours, Lausanne, 18 ans après y avoir embrassé une carrière professionnelle. Il admet que la raison n'a rien à voir là-dedans.
«J'avais une profonde affection pour le LHC. J'ai fait le choix du cœur. Arrivé à un certain âge, quand on a déjà gagné des titres et de l'argent, on a souvent envie de réussir chez soi, de briller devant les gens qui nous aiment.» On veut être le roi du préau, le plus beau des frérots. «Franchement, je ne me voyais pas finir dans un club zurichois...», avoue Keller.
La démarche n'est pas seulement guidée par des sentiments poétiques ou magnanimes, car elle exige de se poser les bonnes questions. Des questions très pratiques...
Le magazine féminin Elle en recense six, parfaitement concrètes et adaptées à la haute compétition. «Six questions avant de retourner avec son ex»:
Si ces questions de tous les jours ressemblent aux choses de l'amour, elles sont toutes transposables au sport. «Retourner avec son ex par facilité: il connaît vos défauts et vos qualités», questionne le magazine Cosmopolitan. «Retourner dans ton ancien club? On te connaît, on te fait confiance», approuve Olivier Keller.
Plus rien à prouver: terrain conquis. Raphaël Nuzzolo ne le nie pas:
«Retourner avec son ex par regret: vous n’avez pas confiance en vous et vous craignez de ne pas retrouver quelqu’un qui vous aime», poursuit Cosmopolitan. «Après mes années en France, je n'avais pas mille opportunités et j'aspirais à replanter mes racines. J'étais content de retrouver Lausanne (ndlr: treize ans après)», reconnaît Alexandre Comisetti.
Est-ce à dire que les bêtes de compétition auraient quelque faiblesse? «Bien sûr que oui», s'écrie l'agent Michel Urscheler. «S'il veut être performant, un joueur doit obéir à ses émotions. Son choix doit être sentimental. En grande partie. Toujours!»
Retourner d'où l'on vient, c'est aussi retrouver un confort, des habitudes, un vécu commun. Avec le risque qu'entre-temps, le club ait beaucoup changé. Qu'il ne soit plus aussi beau, grand et fort. Qu'il apparaisse soudain comme l'idole décatie d'une jeunesse ancestrale.
Alex Comisetti ne s'en cache pas: «Quand j'ai quitté le LS, il jouait le titre et remplissait son stade. Quand je l'ai retrouvé, il n'avait même plus de ballons, sinon les vieux ballons de marques très différentes que l'on a dégotés au fond d'une armoire. Mais ce n'était pas grave: je renouais avec une ville, une histoire, une relation intime.» Avec un club follement aimé que la pudeur vaudoise interdit de chérir.
«Je n'ai pas non plus retrouvé le LHC que j'avais quitté», sourit Olivier Keller. «Mais il y avait toujours ces vestiaires, cette vieille odeur, les fans d'avant, la personne qui nettoyait la glace, tout ce qui constitue le lien affectif. J'ai vraiment eu l'impression de retourner chez mon ex. Et au fond de moi, j'avais très envie de lui plaire.»
Puisque la nature des sentiments est par définition profonde, donc obscure, il est difficile de distinguer la part de charité, à tout le moins de loyauté, dans certaines déclarations spontanées. «Je suis revenu au LS pour mon ami François Laydu, qui était directeur sportif, et pour plusieurs anciens du club», avoue Alexandre Comisetti. «Quand j'ai pris cet engagement moral, Lausanne évoluait encore en première ligue. Je n'en attendais rien. J'allais sur mes 32 ans et je voulais juste redonner un peu ce que j'avais reçu à 17-18 ans.»
Savoir donner, mais aussi, ce que l'on est capable de donner: a-t-on toujours le niveau? Est-on vraiment d'une grande aide? Comme dit un proverbe espagnol: «Offrir l'amitié à qui veut l'amour, c'est offrir du pain à qui meurt de soif.»
Redonner et ne pas décevoir, des responsabilités et des devoirs, confirme Olivier Keller:
Un choix franchement affectif n'exclut pas quelques avantages purement logistiques. Alexandre Comisetti qui, dans la vraie vie, n'a jamais eu d'ex puisqu'il a «épousé la première fille dont il est tombé amoureux à l'école», est rentré au bercail pour permettre à sa femme de reprendre une activité professionnelle. Olivier Keller y avait sa belle-famille. Raphaël Nuzzolo toute sa vie.
Homme d'affaire, «et néanmoins de cœur», Michel Urscheler conseille-t-il à ses joueurs de retourner chez leur ex? «Ça dépend de tellement de facteurs», insiste l'agent valaisan (car on oublie trop souvent l'importance des facteurs dans les motifs de rupture).
Un choix plus ou moins heureux, comme le montrent ces exemples illustres.
Il y est revenu deux fois et a décidé en 2021 que ce serait la dernière, qu'il était temps d'arrêter (37 ans). Avant de lâcher innocemment: «Mais peut-être que dans trois mois, j'aurai envie de recommencer...».
Carlos Tevez a fait ses débuts à Boca alors qu'il n'avait que seize ans. Il y est revenu à 31 ans, puis à 34, après des épopées à Manchester (United et City), à la Juventus et en Chine. Dans ce quartier populaire et pieux de Buenos Aires, il est considéré comme le fils de Diego.
On le disait déprimé, incapable d'exister, avant qu'il ne trouve du réconfort auprès de son premier club, où il a repris goût à la cabriole (29 buts). Sept ans après, ce n'était plus vraiment la même chose, évidemment. Torres avait molli autant que l'Atlético avait musclé son jeu. Mais entre eux, il a subsisté un lien naturel, un naturel presque confondant.
Après cinq saisons à régner sur l’Italie et le monde, Frank Rijkaard est revenu à Amsterdam à 33 ans, appelé à chaperonner une jeune génération de prodiges dont beaucoup sont devenus des grands: Kluivert, Overmars, Seedorf, De Boer.... Reconverti libero, à un poste où l'on a du temps devant soi, il a remporté une troisième Ligue des champions.
Sorti de son canapé par le FC Groningue, le club de ses premiers dribbles insouciants, Arjen Robben (37 ans) n'y a fait que sept apparitions, blessé à l'aine dès le premier match, au terme d'une accélération dont il n'avait ni la force ni la fougue.
Il y est revenu fièrement, couvert de gloire et de livres (ceux que l'on prête avec intérêts), après être devenu une légende de Manchester United. Problème: Rooney s'était un peu empâté, un poil enivré. Le souvenir de ses accélérations ravageuses s'est peu à peu dissipé dans les brumes du Merseyside - quand ce n'était pas dans les petits matins blêmes de Rooney lui-même.
Buffon a retrouvé Parme vingt ans après l'avoir quitté. La foule a célébré le retour de «Superman», comme elle l'appelait jadis, mais un gardien de 43 ans a passé l'âge de jouer les héros. Les envolées de «Superman» étaient moins nettes et Gigi a fini par prendre le pire gadin de sa carrière: quatre buts encaissés en une seule mi-temps.
Adaptation d'un article paru sur watson le 24 novembre 2021