Le genre de détail que seuls les observateurs très attentifs remarquent. Le commun des mortels, après l'avoir vu, s'étonne en général lui-même de son inattention, souvent en lâchant un «Ah ouais, c'est fou qu'un truc si gros m'ait échappé!».
On prend le pari: la plupart d'entre vous sera dans la deuxième situation juste après avoir lu cette affirmation: selon une étude de L'Equipe, 85% des équipes des cinq grands championnats européens ne mettent plus aucun défenseur collé aux poteaux sur corner adverse. En sachant ça, vous regarderez différemment la demi-finale de Ligue des champions entre Manchester City et le Real Madrid ce mardi soir (21h00). D'autant plus que ces deux équipes appartiennent à cette écrasante majorité. Attention quand même à ne pas faire une fixette sur les corners et de rater le reste de ce duel qui s'annonce passionnant!
A part pour quelques effrontés, cette vielle tradition est donc révolue. Jusqu'au début des années 2010, elle était souvent perpétuée seulement par mimétisme, par habitude. Loin, très loin des réflexions tactiques du football moderne. «Comme joueur, je ne me suis jamais posé cette question, on mettait un homme au premier poteau sans chercher plus loin», avoue Alexandre Quennoz, ancien défenseur de Sion, Bâle et Xamax. «Quand je jouais, tout le monde le faisait, sans réfléchir», rejoint Régis Rothenbühler, lui aussi passé par la défense de la Maladière et de Lugano, entre autres.
Mais les deux hommes, désormais entraîneurs, ont depuis dû faire travailler leurs méninges sur ces phases de jeu spécifiques, comme le reste des pros du ballon rond. «Pour moi, ça a commencé à la fin de ma carrière à Lugano en 2002», rembobine Régis Rothenbühler.
Huit ans plus tard, lors de l'exercice 2010-2011, le Jurassien devient l'assistant du Tessinois – décédé en 2012 – à Bellinzone, qui évolue alors en Super League. Au Stadio Comunale, le temps des grandes interrogations est terminé. L'entraîneur a tranché: la défense sur corner est digne d'une attention tactique. Les poteaux sont peu à peu désertés. «Comme ancien défenseur, j'étais chargé de préparer ces séquences de jeu, je réfléchissais aux rôles de chacun», détaille le natif de Porrentruy.
Forcément, pour opérer un tel changement, il faut des arguments. «Si on utilise des joueurs pour coller les poteaux, on se prive d’eux pour la deuxième phase de l'action», recadre Régis Rothenbühler. Or, cette deuxième phase peut se transformer en action offensive pour l'équipe qui venait de défendre. «Les défenseurs sont devenus actifs dans la construction du jeu», observe l'ex-pro. Du coup, le petit latéral, jadis jugé trop fébrile dans les duels aériens et envoyé au poteau pour un éventuel sauvetage sur la ligne, trouve son utilité balle au pied, dans cette projection rapide vers l'avant dès la récupération.
En tout cas davantage que cloué à son montant, à en croire L'Equipe:
Si un joueur a statistiquement peu de travail sur sa ligne, mieux vaut alors l'employer à d'autres tâches défensives sur corner. On pense en premier au marquage individuel, dont les oublis se paient souvent très cher. Mais aussi à la défense en zone, qui a séduit les meilleures équipes de la planète. Comme son nom l'indique, les joueurs en phase défensive occupent des espaces jugés dangereux, pour empêcher l'adversaire de venir y mettre sa tête, sans coller celui-ci à la culotte. Et forcément, un tel positionnement exige des troupes.
Délaisser les poteaux présentent donc plusieurs avantages. Alors pourquoi certaines équipes n'ont-elles pas encore franchi le pas? «Avec les M21 du FC Sion, on laissait toujours un joueur, pour pas qu'on nous reproche ensuite d'avoir encaissé un but con», se justifie Alexandre Quennoz, en charge de la relève sédunoise jusqu'à cet hiver et désormais Talent Manager à Tourbillon.
Assurer le coup, donc. L'idée est on ne peut plus compréhensible. Pourtant, la seule équipe à n'avoir encaissé aucun but sur corner cette saison jusqu'à début avril est Arsenal, qui ne place aucun homme au poteau. Envoyer les joueurs au duel aérien plutôt que sur la ligne n'est donc pas suicidaire. Ce serait même bénéfique, selon une autre statistique: le PSG, Villarreal, Montpellier, Manchester City et Lens sont les cinq équipes en Europe qui concèdent le moins d'occasions sur corner, et là encore, avec personne collé au montant.
Oui, la tactique, c'est bien, mais aucun schéma de jeu ni positionnement ne remplace l'état d'esprit. «Aujourd'hui, on a tendance à tout sophistiquer dans le football, mais dans le cas des corners, la chose principale comme défenseur est avant tout de gagner son duel», replace Alexandre Quennoz, qui avoue avoir cédé volontiers de telles analyses à son assistant.
De son côté, Régis Rothenbühler ne décortique pas si loin tactiquement avec ses M15 en équipe de Suisse, dont il est l'assistant. «A cet âge, on axe davantage la formation sur de l'éducatif, des valeurs humaines et des principes de jeu simples», explique-t-il. «Les jeunes se positionnent sur corner en fonction de ce qu'ils décident entre eux, c'est une question de relation et de discussion entre les joueurs et le gardien.»
Bon franchement, on signerait quand même bien pour revoir un joli sauvetage sur la ligne un de ces quatre! Comme celui-là (même si Kalidou Koulibaly n'était pas au poteau) 😍👇
Capitaine @kkoulibaly26 🇸🇳 est tout simplement le meilleur défenseur au 🌍
— Idrissa Sow🦁🇸🇳👉⭐️ (@MoctarFama) May 20, 2020
Appréciez moi se sauvetage sur la ligne du 🥅
I think #Maradona said right about him
But for us you’re them🐐😍❤️🙌🏾 pic.twitter.com/9oQCrnwp5l